Article écrit par Christoph Kittel, Université de Liège
Le 13 mai 2021, un immense iceberg de 4320km² (une superficie équivalente à l’île espagnole de Majorque) s’est détaché de la plate-forme de Ronne en Antarctique.
Les causes du détachement de cet iceberg, nommé A76 et le plus gros à dériver à l’heure actuelle, semblent s’inscrire dans un cycle naturel non lié au réchauffement climatique. Bien qu’impressionnant, ce processus aussi appelé « vêlage » se produit régulièrement : des morceaux de glace se décrochent de l’inlandsis antarctique, créant des icebergs de tailles diverses, les plus grands comme l’A76 étant évidemment plus rares.
Mais s’ils se reproduisent localement de nombreuses fois et à intervalles plus rapprochés, ces vêlages peuvent cacher un phénomène bien plus inquiétant lié au changement climatique qui pourrait déterminer le futur de l’Antarctique, et par extension la hausse du niveau marin. Car l’Antarctique est entièrement recouvert d’un inlandsis, c’est-à-dire d’une étendue glaciaire plus vaste que l’Europe qui s’étend sur l’océan pour y former de grandes plates-formes flottantes.
Ces dernières se créent par écoulement gravitaire de la glace du continent vers l’océan et constituent un barrage de sécurité autour de l’Antarctique. De la même façon qu’un bouchon maintient du liquide dans une bouteille, les plates-formes retiennent la glace sur le continent. Sans ce rôle crucial, d’immenses volumes s’écouleraient directement dans l’eau faisant augmenter le niveau marin.
Dislocation de plates-formes
Depuis quelques années, les scientifiques pensent que le changement climatique peut fragiliser les plates-formes autour de l’Antarctique. En se réchauffant, l’océan provoque leur fonte progressive et diminue leur capacité de maintien. C’est la raison principale expliquant la perte de masse actuelle en Antarctique.
Plus inquiétant encore, le réchauffement atmosphérique peut entraîner la dislocation entière de plates-formes en très peu de temps, comme l’ont déjà observé les scientifiques en 2002. La plateforme de Larsen B, située en Péninsule Antarctique, s’est en effet désintégrée en quelques semaines, générant une importante accélération du flux de glace vers l’océan dans cette région.
L’été, lorsque la neige sur les plates-formes fond, l’eau s’infiltre dans les pores fins du manteau neigeux où elle peut regeler. Certains étés, cette eau de fonte est trop importante pour être absorbée par le manteau neigeux. L’excès d’eau s’infiltre alors plus profondément, ou s’accumule en surface, formant ainsi des lacs.
Ce phénomène résultant de l’action combinée de l’infiltration et du poids de l’eau peut fracturer verticalement la glace – on parle d’« hydrofracturation ». Le morceau de plate-forme (ou son entièreté dans le cas de Larsen B) se retrouve ainsi déconnecté de l’Antarctique et se désintègre très rapidement.
Une théorie, aujourd’hui encore âprement discutée dans la communauté scientifique, stipule que les nouvelles falaises glaciaires ainsi générées sont très instables et peuvent s’effondrer rapidement, entraînant une désintégration d’autant plus rapide des plates-formes de glace.
Inversement, si les chutes de neige sont suffisantes pour régénérer les pores du manteau neigeux, l’eau de fonte pourra donc y regeler et limiter les risques de fracturation des plates-formes.
30 % des plates-formes menacées
Cette hydrofracturation se produit lorsque l’équilibre complexe entre chutes de neige et eau liquide – essentiellement produite par la fonte en surface – est rompu. Cela pourrait advenir dans le futur du fait du réchauffement climatique, puisqu’une conséquence relativement évidente implique une progression de la fonte en surface.
Néanmoins, les températures en Antarctique sont tellement basses que le changement climatique augmentera aussi les chutes de neige. L’évolution (locale) de cet équilibre paraît ainsi particulièrement incertaine.
Avec une collègue de l’Université de Reading, nous avons étudié l’évolution de cet équilibre à l’aide d’un modèle climatique spécialisé pour représenter les régions polaires.
Notre objectif était d’identifier les plates-formes qui pourraient se désintégrer pour différents taux de réchauffement. Une hausse de 4 °C pourrait entraîner la disparition de 30 % des plates-formes, dont celle de l’île de Pin. Ce glacier, en disparaissant entièrement, pourrait contribuer à lui seul à une progression de 1,5 mètre du niveau marin.
Si les concentrations de gaz à effet de serre poursuivent leur augmentation au rythme actuel, le réchauffement de 4 °C sera atteint avant 2100. En revanche, le limiter à 2 °C – objectif minimal des accords de Paris – réduirait le risque d’hydrofracturation de moitié.
Hausse du niveau marin et incertitudes
La désintégration des plates-formes glaciaires n’a pas encore été prise en compte dans les rapports du GIEC. Selon les dernières études scientifiques, ce processus pourrait entraîner une hausse du niveau marin de 1 à 2,8 cm supplémentaires d’ici à 2100, soit une augmentation de maximum 9 % par rapport aux projections qui n’en tiennent pas compte.
Il est probable que les modèles utilisés dans ces prédictions aient sous-estimé les désintégrations des plates-formes glaciaires, ce qui suggère que ces chiffres ne seraient qu’une évaluation basse. Néanmoins, prédire le phénomène reste très difficile.
Certaines d’entre elles en Antarctique de l’Est (Amery par exemple) subissent déjà des conditions favorables à une désintégration qui ne survient cependant pas, probablement grâce à leur localisation géographique particulière leur offrant un soutien latéral supplémentaire.
S’il faut retenir un point, c’est bien l’incertitude importante associée à des risques d’augmenter rapidement le niveau marin. Les scientifiques pensent aujourd’hui que la fonte de l’Antarctique influencera surtout le niveau marin de l’hémisphère Nord. Sa hausse locale en Europe dépendra donc directement de la situation en Antarctique, qui apparaît comme un élément déterminant pour l’avenir de nos régions… avec un scénario qui pourrait à tout moment pencher vers une éventualité plus catastrophique.
Christoph Kittel, Chercheur post-doctorant en climatologie, Université de Liège
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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