Par Franck Montmessin, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Mars est connue pour sa fine atmosphère, où le CO2 domine et fournit l’essentiel de la masse et de la pression atmosphériques, cette dernière comparable à celle que l’on trouve dans la stratosphère de la Terre à plus de 30 kilomètres au-dessus de la surface.
Mais quid de l’eau ? L’eau sur Mars s’observe actuellement à la surface sous la forme d’une couche de glace au pôle nord épaisse de plusieurs kilomètres, sous forme de givre saisonnier aux périodes de l’année les plus froides, et dans l’atmosphère, sous forme de vapeur et de glace dans les nuages. Néanmoins, l’atmosphère martienne est extrêmement sèche en comparaison de la Terre : en proportion, 100 fois moins d’eau est présente dans l’atmosphère de Mars que dans celle de la Terre. Alors que les précipitations sur Terre se traduisent par des pellicules d’eau de plusieurs centimètres, l’eau que l’on ferait précipiter sur Mars ne formerait qu’une fine pellicule inférieure au millimètre.
De nouvelles données permettent de mieux comprendre pourquoi il n’y a (presque) plus d’eau sur Mars alors qu’elle a dû être abondante par le passé.
L’eau s’échappe de l’atmosphère martienne
Car tout indique que Mars n’a pas toujours été la planète froide et aride que l’on connaît aujourd’hui. Mars expose de nombreux témoignages à sa surface d’un passé lointain – environ quatre milliards d’années en arrière, où l’eau liquide circulait à grands flots et stagnait sous forme de bassins ou de lacs, tels que dans le cratère Jezero que le rover Perseverance est en train d’explorer à la recherche de traces de vie passée.
Pour que l’eau liquide circule autant et réside en surface suffisamment longtemps pour creuser toutes ces empreintes, il faut invoquer un climat radicalement différent de celui que l’on observe actuellement. Mars, Terre et Vénus ont sans doute été accrétées à partir des mêmes matériaux de base, ce qui signifie qu’elles ont dû connaître de grandes similitudes très tôt dans leur histoire. Mais alors que la Terre et Vénus ont conservé l’essentiel de leur atmosphère épaisse, Mars, de par sa faible taille et sa faible gravité, n’a pas pu retenir son atmosphère au cours du temps.
C’est en effet cette « théorie de l’échappement » qui permet d’expliquer la ténuité actuelle de l’atmosphère de Mars. Cet échappement se produit très haut dans l’atmosphère, au-dessus de 200 kilomètres, là où les molécules se sont déjà dissociées en atomes et où les plus légers, comme l’hydrogène, peuvent s’arracher de la faible gravité de Mars. Exposée aux particules énergétiques du vent solaire, cette « exosphère » de Mars est aussi son « talon d’Achille », car elle a laissé au cours du temps l’équivalent de centaines d’atmosphères actuelles se perdre dans l’espace.
Les nouvelles données
De nouvelles données, reçues de la mission Trace Gas Orbiter de l’ESA (l’Agence Spatiale Européenne) et publiées aujourd’hui dans la revue Nature Astronomy, viennent nous éclairer sur les mécanismes subtils qui président à l’échappement de l’eau.
Cet échappement était connu de tous, notamment parce que l’eau martienne possède une composition qui lui est propre. En effet, les isotopes de l’eau, en particulier l’eau « semi-lourde » HDO où un atome d’hydrogène (H) est remplacé par un atome de deutérium (D) deux fois plus lourd, que l’on a mesurés sur Mars depuis les années 80, nous révèlent une concentration relative 6 fois plus grande en deutérium sur Mars que sur Terre. Cet enrichissement relatif est interprété justement comme le résultat de l’échappement de l’hydrogène, qui a progressivement laissé derrière lui les isotopes le plus lourds, en l’occurrence D et HDO, expliquant ce rapport d’enrichissement de 6.
Par extrapolation, la quantité d’eau initiale sur Mars devait être au moins 6 fois plus importante que maintenant, soit l’équivalent d’une couche liquide d’une centaine de mètres recouvrant la planète. Ceci montre à quel point le rapport HDO/H20 est crucial pour se projeter dans la jeunesse de Mars et pour éclairer l’hypothèse d’un climat passé chaud et humide, préalable à son habitabilité.
Ces résultats du Trace Gas Orbiter nous permettent de mieux comprendre les conditions dans lesquelles l’eau et l’eau semi-lourde présentes dans la basse atmosphère sont transportées dans la très haute atmosphère pour ensuite se transformer en atomes capables de s’échapper. En effet, on s’est longtemps demandé à quel point les processus intermédiaires pouvaient modifier la manière dont hydrogène et deutérium issus de l’eau accédaient à l’exosphère. Depuis 20 ans, deux théories suggèrent qu’hydrogène et deutérium ne peuvent atteindre l’exosphère dans les proportions qui sont les leurs dans les molécules d’eau de la basse atmosphère. Ces processus intermédiaires sont d’une part la condensation, qui forme les nuages de glace d’eau martiens, et d’autre part la photolyse, qui casse la molécule d’eau et libère un atome d’hydrogène ou de deutérium sous l’action des rayons UV.
Étudiées en laboratoire depuis des décennies, condensation et photolyse sont connues pour affecter l’eau et ses isotopes de manière spécifique : c’est que l’on appelle le « fractionnement isotopique ». C’est d’ailleurs grâce à notre compréhension du fractionnement isotopique qu’il est possible de retracer le parcours climatique passé de la Terre en forant des carottes de glace aux pôles, où la concentration de HDO révèle le climat plus ou moins froid qui régnait au moment où l’eau a condensé en glace. C’est une discipline où la communauté française excelle, et qui a permis d’initier des travaux exploratoires dans le contexte martien au sein des laboratoires français.
Sur Mars, le fractionnement par photolyse opère de manière opposée au fractionnement par condensation. Et surtout, les deux n’opèrent pas au même moment dans le parcours de l’eau – ce dernier point a une incidence majeure sur le devenir des atomes d’hydrogène et de deutérium. En effet, la condensation de la vapeur d’eau tend à concentrer le HDO dans la glace formée, et appauvrit ainsi de facto la vapeur en HDO. La photolyse, quant à elle, tend à favoriser la libération du deutérium présent dans la molécule HDO. Longtemps, il a été supposé que le fractionnement isotopique par condensation, qui rend la vapeur plus pauvre en deutérium, dominait sur la photolyse et forçait la proportion de deutérium dans l’exosphère à être plus faible que dans l’eau de la basse atmosphère.
Ce que l’étude récente révèle, c’est que la condensation joue en fait un rôle mineur dans la proportion de deutérium de l’exosphère. Grâce à l’instrument Atmospheric Chemistry Suite du Trace Gas Orbiter et à ses mesures simultanées de H20 et HDO, nous avons pu montrer d’où viennent les atomes d’hydrogène et de deutérium, à une altitude et une période de l’année martienne où la condensation n’a pas la possibilité d’interférer avec la photolyse.
C’est bien la photolyse qui produit l’essentiel des atomes et qui dicte le fractionnement isotopique des atomes d’hydrogène qui s’échappent de la haute atmosphère martienne.
Prochaine destination : comprendre le parcours de l’eau, depuis la surface jusqu’à la haute atmosphère
Cette remise en cause de notre compréhension des processus qui mènent à l’échappement de l’eau pose un jalon essentiel dans les tentatives pour retracer l’histoire de l’eau sur Mars. Seul le satellite Trace Gas Orbiter est capable de révéler les concentrations conjointes de H20 et HDO. Mais un autre satellite, de la NASA cette fois, MAVEN, est en mesure d’observer et de caractériser les populations d’hydrogène et de deutérium dans l’exosphère.
Un axe de recherche majeur est en train d’émerger de la concomitance de ces deux missions et il est maintenant possible d’envisager pouvoir décrire le parcours complet de l’eau depuis la basse atmosphère vers la très haute atmosphère, où les atomes qui la composent s’échappent dans l’espace. Seule une compréhension détaillée de ce parcours permettra à la communauté d’élaborer des scénarios fiables sur l’histoire de l’eau au cours des derniers milliards d’années et ainsi, la possibilité de corroborer l’habitabilité passée de Mars où la vie pourrait avoir émergé.
Franck Montmessin, Directeur de recherche CNRS au Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
©Image à la une : La calotte polaire nord de Mars photographiée par la mission NASA Mars Reconnaissance Orbiter. NASA/JPL-Caltech/MSSS