Remontons deux ans plus tôt, au 10 mai 2018. Ce jour-là, la terre commence à trembler autour de l’île de Mayotte, située entre le Mozambique et Madagascar. Une succession de séismes est détectée par les stations sismiques locales. Cinq jours plus tard, la population ressent une secousse plus forte, de magnitude de moment 5,9. C’est le tremblement de terre le plus important jamais enregistré dans la zone.
Dès le premier jour, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), service géologique français, effectue le suivi de cette crise exceptionnelle. Jour après jour, le nombre de séismes augmente. Les plus importants sont perçus sur l’île, suscitant l’inquiétude au sein de la population.
Pour localiser les tremblements de terre, le BRGM a d’abord utilisé un réseau restreint de stations sismiques à terre. Ces séismes étaient groupés sous forme d’essaim à quelques dizaines de kilomètres à l’est de l’île. Un phénomène surprenant compte tenu de l’activité sismique relativement faible dans la région de l’archipel des Comores.
Les chercheurs ont alors cherché à comprendre les origines de ces secousses. Des explorations qui ont mené à l’impressionnante découverte d’un nouveau volcan en formation à quelques dizaines de kilomètres de Mayotte.
Une île qui se déplace et l’hypothèse magmatique
Un des premiers scénarios évoqués pour expliquer cette crise reposait sur l’origine volcanique des Comores et de Mayotte : cet essaim de séismes résulterait de la fracturation de la croûte et de l’injection de liquide magmatique depuis une chambre magmatique en surpression en direction de la surface.
Après deux mois de crise, les sismologues notent en juillet 2018 une accalmie dans l’activité, qui durera deux mois puis se révèlera être une simple phase de transition.
Au même moment, l’Institut géographique national détecte que l’ensemble de l’île de Mayotte tend à se déplacer vers l’est et s’affaisser à des vitesses de près de 20 centimètres par an.
Pour Pierre Briole de l’École normale supérieure, ce mouvement résulte de la déflation d’un réservoir de magma localisé à environ 30 km de profondeur, à 40 km à l’est de Mayotte – c’est-à-dire tout proche de l’essaim sismique détecté. La poche était donc en train de se vider de son magma. Un an après le volume estimé s’étant échappé du réservoir dépassait les 2 km³. Ce constat renforce donc l’hypothèse magmatique comme origine de la crise.
Après la phase d’accalmie décrite précédemment, l’activité sismique reprend fin août 2018 dans deux essaims distincts. Le premier est voisin de l’essaim initial, et le second est proche de l’île de Mayotte. Ce déplacement d’une partie de la sismicité vers l’île alerte la communauté scientifique et renforce les craintes de la population, amplifiées par l’hypothèse magmatique.
Au mois de novembre, un séisme atypique à très basse fréquence monochromatique est enregistré à travers le monde entier. D’une durée d’environ 20 minutes, il affiche une période d’oscillation de 16 secondes. Si ce type de séismes ne peut être ressenti par la population, on le sait associé au contexte magmato-volcanique… un nouvel indice sur l’origine de la crise.
S’organiser face à la menace
À partir de juin 2018, la communauté des sciences de la Terre et les autorités nationales et locales développent progressivement une stratégie pour améliorer le réseau de stations de suivi sismique et du déplacement de l’île. Ils programment des campagnes océanographiques pour explorer la zone des essaims et des régions adjacentes. Le BRGM propose ainsi la campagne d’exploration régionale Sismaore et le projet de recherche Coyotes.
En décembre, grâce à l’appel d’offre financé par le CNRS et la Direction générale de prévention de risque, un projet mené par l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) permet de réaliser trois actions capitales dans la compréhension de la crise : l’amélioration du réseau de stations sismiques et géodésiques à terre (Mayotte et Grande Glorieuse), le déploiement d’un réseau de sismomètres sous-marins autour des essaims pour compléter le réseau et une campagne océanographique couvrant la pente est de Mayotte, jusqu’à la plaine abyssale. Cette dernière action nommée campagne Mayobs rassemble une équipe scientifique des différents instituts impliqués dans le suivi de la crise (IPGP, Ifremer, BRGM, CNRS).
En février 2019, une équipe de l’IPGP déploie les sismomètres sur le fond marin, et quelques semaines plus tard, une station sismique couplée à un GPS est installée à Grande Glorieuse, à 250 km au nord-est de Mayotte. Désormais plus complet et mieux distribué, le réseau permettra dès lors une meilleure localisation des hypocentres dans les mois à venir.
Assister à l’éruption d’un nouveau volcan sous-marin
Dans les premiers jours de mai 2019, le Marion-Dufresnes II quitte la Réunion avec à son bord une équipe de géologues, géophysiciens, sismologues, ingénieurs et techniciens instrumentation. La campagne Mayobs est lancée.
Grâce à un système de bathymétrie multifaisceaux, l’équipe commence à imager dès le premier jour la morphologie du fond marin. Après quelques jours de transit et la récupération des sismomètres sous-marins, un premier lot de données bathymétriques nous est livré grâce à l’efficacité de l’équipe de traitement embarquée.
En observant sur nos écrans le relief du fond marin de Mayotte, nous découvrons par 3500 mètres de fond un nouvel édifice volcanique de 800 m de haut, qui n’apparaissait pas en 2014. Ce nouveau cône volcanique est situé à 50 km à l’est de Mayotte… à proximité de l’essaim sismique. Nos premières estimations lui donnent une superficie de 60 km2 et un volume de près de 5 km3.
Il apparaît alors très probable que ce volcan ait été formé par les magmas provenant du réservoir profond en cours de déflation et soit à l’origine du déplacement de l’île depuis près de 10 mois. Une question demeure alors : le volcan est-il encore en éruption ? La détection dans la colonne d’eau d’un panache de 2000 mètres de haut s’échappant du sommet du cône permet de répondre à la question… Nous sommes alors un an jour pour jour après le début de la crise sismique à Mayotte.
L’observation d’un volcan sous-marin « juvénile » constitue une incroyable découverte. Sa profondeur et sa distance à la côte diminuent par ailleurs le risque volcanique pour la population. Rappelons toutefois que cette crise est avant tout sismique et non volcanique. Or la localisation précise des hypocentres par les données des sismomètres révèle que l’essaim actif se situe à 5-10 km de l’île.
La croissance du volcan sous haute surveillance
Toutefois, ces mêmes données indiquent une profondeur plus importante qu’attendu : l’essaim est situé entre 25 et 50 km sous la surface, probablement dans le manteau supérieur. Ces observations sont confirmées par des travaux complémentaires, dont ceux d’autres équipes et apparaissent capitales pour élaborer un cadre d’actions adaptées face à ce risque.
Au terme de la campagne Mayobs, nous avons pu collecter des échantillons de dragues à roche directement sur le cône volcanique. Lorsque nous avons remonté sur le pont du navire ces échantillons de coulée solidifiée, ils se sont fragmentés de façon explosive sous l’effet de la dépressurisation de vacuoles de gaz piégées dans la lave à 3500 m de profondeur. Ces roches « pop-corn » ont été pour nous la cerise sur le gâteau de cette riche campagne, la première d’une longue série.
Depuis mai 2019, l’équipe Mayobs s’est étoffée et nous poursuivons la surveillance du volcan et de l’ensemble de la pente est de Mayotte, à la recherche de possibles failles actives, d’événements sismiques, de glissements sous-marins ou d’autres activités volcaniques. La communauté des sciences de la Terre impliquée se réunit désormais de façon hebdomadaire dans le cadre du nouvel observatoire Revosima et produit des rapports mensuels d’observation. Le volcan continue de se développer comme l’ont confirmé les campagnes ultérieures, et ce jusqu’en mai 2020. Près de deux ans d’éruption continue. Prochaine visite de contrôle prévue en octobre puis à partir de décembre pour deux nouvelles campagnes.
Fabien Paquet, Ingénieur-chercheur en géologie marine, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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