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Société

#JourdApres, la tribune de Pierre Paperon : un virus et des hommes


Par Pierre Paperon, président d’exploit.digital, fondateur chez Ferme Royale du Berry

Depuis le début de l’épidémie COVID-19, nous avons suivi Pierre Paperon dans sa démarche de collecte et repique de données de plusieurs sources mondiales afin d’en proposer des synthèses utiles à apporter un éclairage rationnel du phénomène. Il achève aujourd’hui son effort de guerre par cette tribune également publiée depuis son compte LinkedIn, dans laquelle il transmet ce que ces deux mois de couverture lui ont appris.


Deux mois magnifiques qui se terminent en ce jour de l’Ascension. Courts et longs tout à la fois. À faire comme avec le Pierrot de la chanson, lui demander de prêter sa plume digitale au clair de la une, tous les matins vers 4 heures, pour assembler un post qui tienne la route pour 7 heures pétantes. Le déconfinement est maintenant en place, posé en équilibre très instable avec une responsabilité individuelle qui n’a jamais été aussi forte. Un peu de recul s’impose à moi pour casser la routine installée et éviter de lasser. Beaucoup de choses émergent de cette période, je vous les livre ou vous les transmets, au choix 🙂

Des zones de partage pacifiées peuvent exister sur Internet

C’est ce qui me saute aux yeux après deux mois de couverture du sujet COVID/SARS-CoV-2 : loin des batailles auxquelles les médias sociaux nous ont habitués, il est possible d’établir une ZAP, ou Zone à Partage, qui ne soit pas la recherche du combat et de la confrontation avec forcément un gagnant ou un perdant. Les conditions en sont pourtant, imho, simples.

  • Il est nécessaire « Que quelqu’un s’y colle » pour assurer la continuité, la régularité.
  • Le sujet est défini. Des choix sont à faire : fil rouge à choisir, angles à ajuster, sources à collecter, sujets à filtrer, origines à vérifier, panique et déni à équilibrer.
  • La magie opère quand les commentaires commencent et viennent largement améliorer le sujet initial avec des sources complémentaires, des regards différents, des éclairages étonnants, du vécu très chargé… Beaucoup l’ont noté, les posts s’enrichissaient tout au long de la journée. Une matière vivante et mutante. Un blob informationnel en fait. Étonnant.
  • Le nombre de nouveaux contacts autour de centres d’intérêt communs ou simplement de recherche de vérité temporaire est tout aussi impressionnant. Des nouveaux amis sont là et l’IRL permettra d’aller plus loin sur différents projets ! Combien de Nicole Kidman avez-vous croisées pendant le confinement ? pourrait résumer le sujet sur les choses importantes dans la vie et l’importance des branches de l’arbre qu’elle constitue 🙂
  • Il est possible de monter rapidement un réseau de correspondants d’une qualité incroyable. Miguel Quintana en a été le premier exemple en m’encourageant à utiliser sa position unique au Japon pour nous éclairer sur la réalité du terrain. Pareil pour Alice, en Californie, et la trentaine d’autres (Singapour, Russie, Chine, Hong Kong, Taiwan, Maroc…) : je les en remercie ici ! Est-ce une AFP du pauvre ? Non, plutôt une AFP distribuée et agile en termes de mise en place.

La grande difficulté est aussi de ne pas tomber dans la routine. Les changements de titre, les recherches de « figuras » ou personnalités saillantes et utiles, les mises en forme nouvelles, les vidéos d’interview, la musique et les concerts avec tout ce qu’ils portent de déjà archéologiques tellement ils sont loin… et le choix de São Paolo pour Viva la Vida n’était pas anodin pour ceux qui suivent le drame brésilien commencé il y a deux mois.

  • Les règles du « jeu » ou de la « bienséance » sont à définir dès le début et à communiquer largement. Cela a été assez simple et a pris la forme d’un règlement intérieur à deux règles : « les grincheux ou fâcheux sont bloqués » et « on fait avec ce que l’on a ».

Les grincheux, comme en entreprise ou dans les familles, existent. L’avantage de LinkedIn est cette possibilité d’exercer un contrôle ou une modération sur leur présence et la capacité à polluer un échange ou des règles de courtoisie évidentes. Pour avoir tenté de les comprendre, je pense qu’ils conçoivent le Net comme un espace totalement ouvert où tout est permis. Une autre conception existe : la page d’un post est un espace semi-privé qui n’est pas chez eux. Un peu comme si c’était un hôtel (gratuit de surcroît) où tout n’est pas permis, loin de là. La réflexion entamée dans un autre article, « la bienveillance est-elle un sport de combat ? », peut être une occasion de poser le débat dans vos équipes ou entreprises sur le rôle de chacun et la pratique authentique de la bienveillance.

Le « on fait avec ce que l’on a » a permis de couper court à beaucoup de débats assez futiles sur la valeur des chiffres, surtout en faisant des comparaisons entre les pays. Cela a éprouvé la patience d’expliquer que « c’est sur les courbes qu’il faut porter son attention ». Et c’était bien les tendances qui ont été importantes depuis le début, car le Rt était là sous nos yeux (rappelez-vous les pentes initiales avec doublement tous les deux jours :-). Et pour tous ceux qui mélangent encore les modes de « data visualization », je leur recommande de repartir de bases simples et d’aller vers du plus compliqué ensuite 😉 et que tout cela est très normal au début, car ils ont 96 % de chances d’utiliser un mauvais graphique 🙂

Quelques chiffres, on ne se refait pas 🙂

Quelques questions sont récurrentes depuis deux mois au travers des messages privés. Voici les réponses qui me semblent utiles à tous, d’autant plus si vous avez participé aux échanges :

  • le temps nécessaire pour composer un post ou « bulletin météo » comme celui-ci tous les matins est d’environ 2 à 3 heures ;
  • l’animation en elle-même représente elle aussi environ 3 heures par jour. En continu ou bien en fractionné. Un choix à faire de se lâcher en termes d’humour, de décalage de la réponse, de deuxième ou troisième degré, de réponse exotérique ou pas, de clin d’œil plus ou moins subliminal, de retoquage plus ou moins doux… Là aussi, pas facile d’être constant sur une aussi longue période avec des hauts et bas ;
  • le nombre de vues quotidiennes a oscillé entre 200 000 et 1 200 000, je n’ai pas fait de valeur moyenne stricte, mais 3-500 000 a été la zone la plus fréquente pour ces soixante-quatre jours ;
  • la modération est une source de pression ou de stress, elle oblige à une surveillance régulière, car les trollers (je cherche le buzz), envahisseurs (je viens pour faire la pub de mon service ou de mon cabinet de conseil), fighters (recherche d’opposition frontale), impolis (« débile », « stupide », « absurde », « biaisé », « fake news »… sont les alertes sémantiques) et dangereux (« morbide », « nazi », « à la solde »…) rôdent. Quelques mâles alpha et managers toxiques ont ainsi disparu des écrans radar ;
  • la très bonne nouvelle est leur faible nombre (oui, je sais, on revient au ratio cas/million :-). J’ai dû au total bloquer une soixantaine de personnes, en signaler une dizaine pour leur insinuation, vocable, incitation à la haine, usurpation d’identité, infiltration (ah, les Chinois qui n’ont pas aimé les courbes pointillés multipliant par 10 leurs dires)… Soit au total 70. C’est à rapporter aux deux millions de personnes qui sont passées à un moment ou un autre sur un des posts : 70/2 millions = 0,035 %. Très raisonnable. Cela peut être une réponse à tous ceux qui crient au bâillonnement de la liberté d’expression : la réponse semble claire et la mesure acceptable pour une quiétude propre à un espace civilisé (en définissant le civilisé comme étant l’éloignement des tendances animales primaires, comme le marquage de territoire et l’affirmation de sa supériorité).

Cela pourrait ouvrir la réflexion pour beaucoup d’entreprises, privées ou publiques, pour exister sur les réseaux sociaux et surtout apporter de la valeur et du sens un peu plus authentique que le « et vous, vous en pensez quoi ? ». Là aussi, jolie mue à opérer.

Ce virus a tué beaucoup d’experts et de bisounours

La terminologie guerrière du début a laissé place assez rapidement à une lecture plus biologique de la situation : « un virus et des hommes », pour synthétiser. Cela a été rapidement évident avec la multiplicité des sources d’information du monde entier, visuelles dans un premier temps, puis écrites avec les études et publications, puis télévisuelles avec l’avènement des plateaux d’experts. Il est possible que le virus ait fait pas mal de victimes parmi eux, qu’ils soient infectiologues, virologues, épidémiologistes, membre de comité scientifique, directeurs d’autorité de santé, ministres… L’humilité en face de cette espèce biologique n’a pas été de mise et n’a fait que refléter le rapport de dominance affirmé sur la nature… qui reprend de temps en temps ses droits 🙂

Des matchs se sont mis en place, dont la fameuse réplique de PSG contre l’OM. L’histoire nous dira pourquoi la cordée a dévissé, que ce soit pour des questions d’ego ou d’intérêts financiers sordides, de rancœurs historiques, de conception de la gestion de crise…

Je me suis attaché à donner la parole à tous et surtout indiquer cette voie du doute : « Il n’y a qu’une certitude, c’est le doute » a été un leitmotiv depuis trois mois. D’où les questions, les tensions même, avec des épidémiologistes lors des échanges, car les chiffres indiquaient que les guéris restaient bien contagieux… ce qui n’est pas tout à fait ce que l’on apprend à l’école et répète soigneusement et doctement. Les six premiers mois asymptomatiques et non décelables du VIH sont pourtant là pour nous le rappeler.

Tout cela a montré que le virus est un défi aux intelligences collaborative et collective de l’espèce humaine. Et un défi national et international de plus. Pas sûr qu’il soit totalement relevé au vu des enjeux financiers, encore et toujours. À noter, le Pr Drosten, qui a partagé avec tous son test mis au point dès le mois janvier : prix Nobel en vue, imho. L’intelligence artificielle est souvent revenue dans les débats et sa classique confusion avec le data mining. Une recommandation avant de mettre de l’IA partout (vous savez, ce que disait Maslow : « pour un marteau, tout ressemble à un clou ») : un travail individuel semble à faire pour définir ce qu’est l’intelligence, et plus finement celle qui semble propre à chacun, 23 formes cohabitent et chacune est le résultat d’un mix bien particulier et surtout unique 🙂

Ce virus a été l’épreuve du bac pour 200 gouvernements

Imaginez une grande salle avec les 200 chefs de gouvernement. Les copies sont distribuées les unes après les autres, à peu près toutes les semaines, à une dizaine de gouvernements. Une règle, au contraire d’une salle d’examens classique, a été définie : il est possible de « pomper » sur les voisins et même d’aller voir les premières tables à qui on a distribué les copies en premier.

On voit bien en regardant les courbes, surtout avec la remise à la même échelle en fonction du premier décès ou du nombre de cas égal à 100, que certains gouvernements sont allés vite dans les mesures et leurs préparations, d’autres ont pris leur temps sans pour autant en profiter pour se renseigner sur les meilleures pratiques (en allant copier puisque c’était autorisé !) et, enfin, d’autres ne se sont toujours pas assis à la table ou ont déchiré leur feuille.

Les notes et le résultat de l’examen n’ont pas encore été distribués même si chacun a de quoi pour se faire son opinion : cela prendra du temps. On en est encore à refaire les comptages de la grippe espagnole… Et il a fallu une quarantaine d’années pour identifier le patient zéro du VIH, comme mentionné à plusieurs reprises dans les posts matinaux. Et quinze ans pour un « jugement » dans l’affaire du sang contaminé.

Sans compter ici les tensions internationales qui ont commencé et ne vont pas faciliter l’accès aux faits et la compréhension de l’enchaînement des événements et leurs origines.

Un sas vers les étapes suivantes et les conséquences

Je me suis attaché depuis le début du mois de mai à établir la charnière entre la guerre, la crise, la pandémie… et le monde tel qu’il va être, en apportant des pistes de réflexion, comme celles proposées par Futuribles, mais aussi en donnant une perspective historique avec le travail fait par la Banque d’Angleterre, qui me laisse pantois à chaque fois que je la regarde : la baisse du PIB prévue pour cette année 2020 est la plus forte enregistrée depuis plus de trois cents ans.

Pour la France, un post a indiqué que l’on devait remonter à l’origine de cette mesure du PIB, soit 1804, pour trouver une baisse aussi significative. Cela présage de multiples conséquences tant sociales qu’économiques ou même environnementales.

Le virus et son confinement ont été l’équivalent d’une mutation forcée pour beaucoup. Un « forcing device » qui a bousculé les transitions ou transformations auxquelles on était habitués : ces deux mois ont été une véritable téléportation, un saut quantique comme on peut en faire en temps de guerre. Ces deux mois et le virus ont instauré un changement de comportements et d’attitudes égal à dix ans de temps normal. Le télétravail n’en est que la partie émergée. La remise en question sur l’utilité des bureaux et des open spaces est la partie immergée autrement plus structurante sur la nouvelle organisation du travail qui s’ouvre qui peut transformer beaucoup de managers en cœlacanthes qui s’ignorent. Je l’ai résumé avec l’aide de Laurent (Henocque) sous la forme d’une matrice pour formaliser le choix qu’il a fait pour KeeeX :

Je ris en relisant cet article sur le plurisensualisme au travail… beaucoup de choses vont changer au travers de l’attention aux sens, distance, regard d’autrui, rapport aux objets… fascinant que cette impression d’être « dans le zoo » avec une espèce nouvelle 🙂

Pour ma part, j’ai accéléré la mise en place d’une voie alternative avec la Ferme royale du Berry. Lieu de mise en œuvre de mes convictions pour le monde à venir : plus distribué, plus respectueux de l’environnement, plus intégré avec les besoins alimentaires et de recherche d’autonomie, plus « hospitalier », pour synthétiser. Ce qui n’empêche pas bien sûr d’explorer, et les visiteurs à venir en verront des exemples avec l’hydrogène, l’attention à la réserve fonctionnelle pour les séniors, les cultures de lutte contre les conséquences du dérèglement climatique, et autres productions singulières pour une ferme et son environnement (comme partagé dans l’article sur la tokenisation du monde et la commune au centre), je l’espère inspirante pour beaucoup d’entrepreneurs et citoyens de notre vaisseau spatial, la Terre.

J’ai un deuxième projet aurifère et caritatif de grande ampleur en cours à Madagascar, le projet « Bonne Mine ». Étrangement, celui-ci pourrait déboucher dans les temps de disette qui s’annoncent sur un redéploiement de la recherche d’or sédimentaire (dans les cours d’eau et surtout pas dans les mines) dans ce pays qui fait partie des plus aurifères au monde et qui s’appelle… la France.

Pour boucler avec l’entrée de cette page très centrée sur le rôle média des posts, je ne peux que vous poser une question qui m’étonne toujours à chaque fois que je la rencontre :

Qui a choisi le vocable « ORTF » pour désigner le premier média audiovisuel français ?

Le monsieur ou la dame qui avait choisi cela a, je pense, fait un énorme clin d’œil prémonitoire, car on retrouve les 4 éléments naturels que sont l’Eau, l’Air, la Terre et le Feu. L’homme manquait à cette alchimie, qu’il perturbe d’ailleurs fortement. Je mets en images cette visualisation incroyable des aurores boréales qui, si elles n’ont que peu de relation avec le réchauffement de la planète, n’en donnent pas moins l’impression que le gaz est allumé pour notre Terre. L’homonymie entre la ceinture de Van Allen et le Jump de Van Halen est totalement fortuite en regard des actions à prendre par l’espèce humaine 🙂

C’est ainsi que « Des souris et des hommes » a inspiré « Un virus et des hommes », mais finit par « muter », je l’espère, en « Des sourires et des hommes ».

Je sais, masqué, ce n’est pas le plus simple 🙂

Cliquez ici pour retrouver toutes les cartes blanches de Pierre Paperon.

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