Les artistes ont toujours été des initiateurs de marginalités. Des curieux aimant les voyages nourrissant leur création. Et comment mieux la vivre, lentement, qu’au fil de l’eau, sur un bateau ?
Les ateliers flottants des peintres Daubigny et Monet
Ainsi, pour ne citer que des Français, saviez-vous que les artistes du pinceau Daubigny et Monet se firent chacun construire une « maison flottante » en plein 19e siècle ?
Les premiers (père et fils) adaptent un « bateau de passeur », qu’ils baptiseront « Le Botin », aux besoins d’une vie au fil de l’eau. Ils aiment saisir les beautés des rives de France, de la Seine aux écluses du Nord. Équipé d’un mât, d’une voile, de 3 paires d’aviron de couple, et de 2 dérives latérales (façon péniches hollandaises), le bateau de 8,50 m sur 1,80 m disposait d’un fond plat en chêne (0,50 m de tirant d’eau) et d’une cabane en sapin à l’arrière, bariolée de larges raies multicolores. La jugeant bien trop petite, ils en ajoutent une autre, percée de 2 petites fenêtres avec des coffres (où se cachent matelas, couvertures, batterie de cuisine, etc.). Si danger, une dame-jeanne à bâbord contenait le piccolo.
Avec l’adorable lapin, prénommé moqueusement « Raffiot », la mascotte folle de carottes, le curieux équipage était au complet !
Des passionnés ont reconstitué ce bateau et organisent des balades sur l’Oise.
Pour revenir à Monet, il aménage un bateau-atelier où il reçoit amis et critiques d’art, entre deux escapades :
« …une vente fructueuse fit tomber dans ma poche, d’un seul coup, assez d’argent pour m’acheter une barque et y faire établir une cabine en planches où j’avais assez de place pour installer mon chevalet. »
Georges Simenon et l’Ostrogoth
En février 1929, à Fécamp, Simenon prend possession de son cotre de 7,30 tonneaux. Il est muni d’un moteur de 20 chevaux qui sera sa demeure permanente durant les 2 ans suivants. De retour à Paris, il s’empresse de le faire baptiser. La cérémonie se déroule à la pointe du Vert-Galant (île de la Cité à Paris), bénie par le curé de Notre-Dame.
Puis, Simenon, sa femme, et un équipage modeste, embarquent pour un périple rêvé depuis des mois. C’est alors que, de canaux en rivières, de mer en ports, il traverse les pays nordiques (Belgique, Pays-Bas, Allemagne). Il s’arrête longuement à deux reprises, notamment à Delfzijl, au bord de l’Ems, où son bateau a sérieusement besoin d’être calfaté. Le lieu n’est pas anodin et l’immobilisation forcée signera le destin policier de Simenon.
Il raconte lui-même sa « rencontre » avec Maigret :
« …un matin, je me rendis au petit café où j’avais mes habitudes (…). Je commandai un genièvre avec une goutte de sirop de citron et je le dégustai tranquillement en fumant ma pipe, puis j’en bus un autre et je ne jurerais pas que je n’en ai pas commandé un troisième (…). Je me mis à marcher, les mains dans les poches, le long de la mer. C’est alors que des images me vinrent à l’esprit. (…) Sur une vieille enveloppe jaune que j’avais trouvée dans un tiroir de l’Ostrogoth, je m’étais contenté d’écrire quelques noms, quelques noms de rues, c’est tout (…) J’avançais au jour le jour, en suivant mon personnage principal. Maigret n’était à ce moment pour moi qu’un comparse et je me contentai de le dessiner à gros traits. J’ignorais que je me servirais de lui dans presque quatre-vingts autres romans… ».
L’île au trésor sur…une péniche
En 1877, Robert Louis Stevenson imagina la carte conduisant au trésor des pirates… depuis le bureau de sa péniche, « Les onze mille vierges », amarrée sur le Loing en France. Rien d’étonnant. Stevenson est un nomade dans l’âme. Il ose, en pleine fixité victorienne, l’expérience du Dehors et écrit :
« …Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour voyager ; je voyage pour le plaisir du voyage ; car l’essentiel est de bouger, d’éprouver d’un peu plus près les nécessités et les aléas de la vie, de quitter le nid douillet de la civilisation, de sentir sous ses pas le granit terrestre… ».