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Société

Le Canada détient 20% des réserves mondiales en eau douce. Voici comment il doit gérer cette précieuse ressource

Par Alexandre Lillo, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Eric Champagne, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Lauren Touchant, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Marie-France Fortin, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa et Thomas Burelli, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Le gouvernement fédéral a entrepris depuis 2020 la création d’une Agence canadienne de l’eau pour encadrer la gouvernance de l’eau au pays. La consultation publique a pris fin le 1er mars dernier, tandis que la mobilisation des Autochtones va se poursuivre tout au long de 2021.

Mais de nombreuses questions et attentes demeurent en suspens quant à la nature que prendra cette initiative.

La gouvernance de l’eau englobe l’ensemble des processus administratifs, sociaux, politiques, économiques ou juridiques mis en place dans une perspective de gestion de l’eau. En d’autres termes, c’est le procédé sociétal déterminant la façon dont les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux élaborent des mesures et prennent des décisions en la matière.

Les acteurs gouvernementaux y sont impliqués de par les responsabilités partagées qu’ils détiennent à l’égard de l’eau, alors que les acteurs non gouvernementaux participent en raison de leurs intérêts à l’égard de la ressource.

L’urgence d’agir

Si la demande mondiale en eau douce est en constante augmentation, le Canada peut paraître privilégié puisqu’il détient 20 % des réserves mondiales en eau douce et 9 % des ressources en eau douce renouvelables.

Pour autant, de nombreux enjeux caractérisent l’urgence d’agir quant à la gouvernance de l’eau douce au pays : le réchauffement du climat au Canada qui, plus rapide qu’ailleurs, a des conséquences environnementales prononcées, l’accès à l’eau potable dans les communautés autochtones de même que les politiques sur les inondations. Tous ces enjeux contribuent à justifier la création d’une Agence canadienne de l’eau

À la suite de la publication, en décembre 2020, par Environnement et Changement climatique Canada d’un document de discussion sur la future Agence, une consultation publique a été menée grâce à des forums national et régionaux tenus virtuellement en janvier et février 2021 – la mobilisation des Peuples autochtones est quant à elle toujours en cours. Les avenues de réflexion qui ont été proposées sont diversifiées, mais demeurent parfois très vagues.

Nous sommes membres du Forum de l’Université d’Ottawa sur le droit et la gouvernance de l’eau, un réseau de recherche composé de plusieurs centres d’études. Dans le cadre de cette initiative interdisciplinaire, nous avons identifié une série d’enjeux en matière de droit et de gouvernance pour la future Agence canadienne de l’eau.

Une conférence interdisciplinaire sur les défis de la future Agence canadienne de l’eau s’est tenue le 22 mars 2021.

Les défis juridiques

Le droit canadien de l’eau est marqué par de forts enjeux interjuridictionnels et par un manque important de coordination entre les acteurs gouvernementaux. Face à ces spécificités, de nombreuses propositions de changements ont été formulées.

D’une part, des discussions existent sur des efforts de coopération possibles à la lumière du partage constitutionnel des compétences et sur l’impact de la jurisprudence récente en matière de fédéralisme coopératif. D’autre part, des appels à réformer la Loi sur les ressources en eaux du Canada afin de repenser la gouvernance de l’eau douce par bassins versants ont été formulés.

Par ailleurs, une collaboration plus intégrée des différents acteurs, gouvernementaux ou non, est encouragée. Enfin, un changement de paradigme complet est parfois préconisé, en mettant l’accent sur l’eau en tant qu’être spirituel qui donne (et prend) la vie à partir d’une perspective autochtone. Il est à n’en plus douter : les solutions sur le plan juridique affluent.

Les enjeux politiques

La création de l’Agence canadienne de l’eau doit faire face à la fragmentation de la gouvernance de l’eau, aux enjeux de gouvernance multiniveau et aux spécificités du fédéralisme canadien.

Pourtant, sa création serait non seulement l’aboutissement d’un intérêt politique renouvelé à la suite de la crise de Walkerton en 2000 (l’eau de la municipalité était contaminée à e-coli) mais également une occasion de revitaliser la politique fédérale de l’eau, progressivement tombée aux oubliettes depuis 1987.

Le rôle des municipalités

Si l’environnement institutionnel et les rapports de pouvoir qui caractérisent la gouvernance de l’eau au Canada sont complexes, la future Agence canadienne de l’eau pourrait néanmoins promouvoir la production et le partage des connaissances ainsi que la participation citoyenne.

Les municipalités, qui exercent en effet un rôle fondamental sur le plan des infrastructures ou dans la protection des écosystèmes aquatiques, pourraient, elles aussi, être reconnues comme des acteurs clés de la gouvernance canadienne de l’eau au sein de l’Agence. Ce serait l’occasion de moderniser le cadre des relations fédérales-municipales au Canada.

Les considérations sectorielles

Malgré un mouvement d’intégration et d’harmonisation de la gestion de l’eau, certaines considérations sectorielles demeurent essentielles afin de refléter la diversité des dynamiques autour de l’eau.

Plusieurs organismes de gestion de l’eau, par exemple la Commission de contrôle du lac des Bois ou la Commission mixte internationale, tentent depuis plusieurs années de tenir compte des spécificités territoriales et environnementales. Ces structures fixent des objectifs spécifiques au contexte territorial ou écosystémique dans lequel elles évoluent.

Prendre en compte la diversité des dynamiques sociales autour de l’eau est également essentiel. Il s’agit de tenir compte des spécificités que peuvent par exemple générer le secteur de l’agriculture ou de la santé, que ce soit à l’égard des besoins en eau, des impacts sur l’eau, de l’accès à l’eau ou les questions liées à la justice environnementale.

Des modèles pertinents ailleurs

Bien que la création d’une Agence canadienne de l’eau soit une initiative nationale, s’intéresser aux perspectives internationales en lien avec ce projet n’est pas sans intérêt, et ce pour au moins trois raisons :

1) L’initiative canadienne est une occasion de questionner, voire de remettre en cause l’imaginaire de la souveraineté nationale de l’eau dans la mesure où les enjeux de gouvernance peuvent largement dépasser les frontières de l’État canadien.

En Nouvelle-Zélande, la rivière Whanganui s’est vu accorder la personnalité juridique dans un effort de réconciliation entre l’État néozélandais et les Maoris.
Shutterstock

2) Le Canada a également l’opportunité de s’inspirer de plusieurs expériences étrangères innovantes. C’est le cas des Agences de l’eau en France, qui ont permis l’émergence d’une forme de démocratie de l’eau et qui sont aujourd’hui des acteurs essentiels de la protection de l’environnement. C’est aussi le cas de la Nouvelle-Zélande, où la rivière Whanganui s’est vu accorder la personnalité juridique dans un effort de réconciliation entre l’État néozélandais et les Maoris.

3) Finalement, la future Agence canadienne de l’eau sera scrutée et étudiée au-delà des frontières du Canada, elle aura des implications avec les activités de la Commission mixte internationale et nourrira les réflexions à l’international dans le champ de la gouvernance de l’eau.

L’importance des prochaines étapes

Les plus récents sondages indiquent encore que l’eau est la ressource naturelle prioritaire pour les Canadiens. La Commissionnaire Merrell-Ann Phare évoquait d’ailleurs, lors de la conférence que nous avons organisée, que « l’Agence canadienne de l’eau a le potentiel unique d’être une innovation révolutionnaire en matière de gouvernance au Canada ».

Les prochaines étapes seront ainsi déterminantes. Environnement et Changement climatique Canada doit désormais préparer un rapport incorporant les commentaires reçus lors de la consultation publique.

Le plan budgétaire fédéral 2021 présenté récemment prévoit de financer cette initiative à hauteur de 17,4 millions de dollars sur deux ans, et ce, à compter de cette année. Si cette proposition semble consolider les engagements gouvernementaux, les élections fédérales qui pourraient être déclenchées à l’automne risquent de bouleverser le calendrier proposé.The Conversation

Alexandre Lillo, Postdoctoral Fellow, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Eric Champagne, Professeur agrégé, École d’études politique, Directeur, Centre d’études en gouvernance / Associate professor, School of Political Studies, Director, Centre on Governance, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Lauren Touchant, Postdoctoral fellow, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa; Marie-France Fortin, Assistant professor, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa et Thomas Burelli, Professeur en droit, Section de droit civil, Université d’Ottawa (Canada), membre du Conseil scientifique de la Fondation France Libertés, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

©récits image à la une (vue aérienne des îles de la baie Georgienne, en Ontario, Canada) : Shutterstock.

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