Par Régis Barille, Université d’Angers
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, les technologies à l’échelle du nanomètre (nanotechnologies) peuvent être utilisées pour combattre le virus. Elles recèlent un énorme potentiel dans le diagnostic, le traitement et la prévention de la Covid-19.
Les nanotechnologies peuvent aider à lutter contre la Covid-19 grâce à différentes approches : l’observation des virus à l’aide d’instruments dont la résolution est adaptée à la taille du virus et la suppression de la contamination virale.
En particulier par :
- La conception d’équipements de protection individuelle (EPI) sûrs contre les infections pour améliorer la sécurité des travailleurs de la santé et la mise au point de désinfectants antiviraux et de revêtements de surface efficaces, capables d’inactiver le virus et d’empêcher sa propagation.
- La conception de nanocapteurs hautement spécifiques et sensibles pour identifier rapidement l’infection ou la réponse immunologique.
- Le développement de nouveaux médicaments, avec une activité améliorée, une toxicité diminuée et une libération prolongée, ainsi que des tissus ciblés, par exemple, vers les poumons.
- La mise au point d’une vaccination à base de nanotechnologie pour stimuler les réponses immunitaires humorales et cellulaires.
Utiliser les nanotechnologies pour la détection des virus et le diagnostic
On a du mal à s’imaginer comment il est possible de visualiser ces virus. Tout d’abord il existe en physique un instrument qui est bien utile pour aller sonder les objets de tailles nanométriques c’est le microscope à force atomique (Atomic Force Microscope).
Le principe repose sur une pointe en silicium de hauteur 7 à 15 nanomètres (nm) de hauteur qui permet de balayer la surface en contact. 1 nm correspond à 1 mètre divisé par 1 milliard et 1 milliard correspond à compter pendant 30 ans toutes les secondes. Les déplacements sont mesurés avec un laser qui se réfléchit sur la surface de la pointe et qui mesure les variations de topographies à l’aide d’une photodiode dont la surface est divisée en 4 quadrants. Les informations sont ensuite traitées par l’électronique pour reconstituer une image. Une autre utilisation de ce microscope consiste à appuyer sur la surface et regarder comment la pointe s’enfonce dans le matériau. On mesure de cette façon la force qu’il faut pour appuyer. Cette information permet d’obtenir la dureté du matériau.
Des mesures à l’AFM du virion SARS-CoV-2 ont été faites. Le virion est la particule virale composée d’un acide nucléique et d’une enveloppe de protection, il présente en surface une brosse dynamique en raison de la flexibilité et du mouvement rapide des protéines en pointe. Ces virions sont très souples et capables de se remettre de perturbations mécaniques importantes. La surface du virion devient progressivement dénudée de pointes lors de l’exposition thermique. La mesure à l’AFM du virion donne une hauteur de 62 nm. Le nombre de pointes qui couvre la surface est d’environ 61 (350 pour le virus de la grippe) mais ce nombre est variable au cours du processus de maturation dans la cellule infectée et ils sont surtout très dynamiques. Leur hauteur est d’environ 13 nm et ils sont séparés de 21 nm.
Un autre type d’instrument utilisant la nanotechnologie sont les plates-formes de biocapteurs fondées sur la résonance plasmonique de surface (SPR) (celle qui donne la couleur des vitraux des cathédrales). Cette technique optique très sensible détecte les changements d’indice de réfraction se produisant à l’interface d’une fine couche d’un métal de quelques nanomètres d’épaisseur, permettant de surveiller les interactions biochimiques en temps réel. Le capteur est capable de mesurer tout changement d’indices sur la surface de la couche métallique sur des hauteurs de quelques nanomètres.
Sur la base des performances réussies des biocapteurs à base de SPR, un dispositif amélioré a été récemment rapporté pour le SARS-CoV-2. Des variations d’indice de réfraction de quelques dizaines de millionièmes ont pu être détectées. D’autres biocapteurs sur un principe similaire de résonance plasmonique et en utilisant l’échauffement de particules métalliques en surface ont pu obtenir une limite de détection inférieure jusqu’à une concentration de 0,22 pico-Mole.
Désinfection de surfaces et équipements de protection individuels
Les résultats expérimentaux récemment publiés sur la stabilité du SARS-CoV-2 ont montré une plus grande persistance sur les surfaces lisses par rapport aux surfaces poreuses : 2 jours sur l’acier inoxydable acier et 3 jours sur une surface en plastique. Par contre, aucun virus infectieux n’a été récupéré après 3 heures d’incubation sur des papiers d’impression et de soie, et après un jour sur carton, et 2 jours sur tissu. Il a été de plus montré que l’effet de la porosité de la surface avec des pores de quelques nanomètres soit un facteur.
La désactivation plus rapide observée sur les matériaux poreux pourrait être liée à une dessiccation plus rapide du virus, car l’eau condensée peut être évacuée du virus vers la surface poreuse environnante. De plus, les surfaces fibrées peuvent également comprimer mécaniquement les gouttelettes de séchage et potentiellement déformer et endommager les particules virales à l’intérieur.
La recherche de matériaux capables de tuer les bactéries et les virus par contact est cruciale pour éviter la propagation des contagions. Les polymères peuvent être dotés de propriétés antimicrobiennes par ajout d’agents biocides conduisant à des surfaces stériles permanentes. Les surfaces en argent ou en cuivre sont aussi bien connues depuis l’antiquité égyptienne pour leurs activités antibactériennes et antivirales. Un mécanisme clé de ces métaux est la libération lente de cations Cu2+ et Ag+ à la surface, ce qui peut endommager la membrane et les nucléotides des virus. Il a été récemment montré les propriétés antibactériennes et antivirales de surfaces nanostructurées en aluminium inspirées de l’architecture des ailes d’insectes.
La question de l’infection aérienne via la circulation du SARS-CoV-2 dans les aérosols en particulier dans les lieux publics et les WC. La nanotechnologie permet de fabriquer des nanoparticules de cuivre ou d’argent et également de les incorporer sur les surfaces, les textiles des équipements de protection (EPI) et les filtres à air et à eau pour l’inactivation in situ d’agents pathogènes filtrés, en minimisant ainsi le risque de manipulation du filtre tout en limitant leur transmission dans l’environnement.
La virucidité des nanoparticules dépend d’abord de leurs propriétés physiques telles que la petite taille, la surface spécifique élevée et la charge de surface, qui permettent la pénétration de la membrane, une forte absorption de la charge antivirale et la liaison, respectivement. Deuxièmement, elles possèdent des propriétés biomimétiques importantes pour se lier aux particules virales ou aux cellules hôtes. Les nanoparticules peuvent aussi encapsuler des actifs antiviraux et libérer la charge utile au site souhaité, ce qui améliore le dosage, la biodisponibilité, le temps de circulation et la stabilité du médicament.
Comme les filtres à air, les membranes de traitement de l’eau jouent un rôle important dans la désinfection des effluents hospitaliers et de l’eau potable contaminés par des bactéries et des virus. Les systèmes de filtrage avancés peuvent contenir des nanoparticules métalliques antimicrobiennes avec des métaux de transition (Ag, Cu, CuO, Zn, Fe (II), etc.) mais aussi d’autres nanomatériaux carbonés tels que les charbons actifs, les ‘carbon quantum dots (CQD)’ (quelques dizaines de nanomètres), les nanodiamants (ND), les nanotubes de carbone à parois multiples ou à paroi unique (MWCNT ou SWCNT), le graphène et l’oxyde de graphène (GO).
Les semi-conducteurs constituent une classe intéressante de matériaux pour la lutte contre les infections virales, car ils peuvent produire des radicaux tueurs de virus par interaction avec la lumière. Ce processus est communément appelé inhibition photodynamique (PDI) des virus et autres microbes et est activé à la fois par des nanoparticules semi-conductrices inorganiques et des composés photosensibilisants organiques (PS). Ces interactions peuvent potentiellement endommager les composants des virus tels que la membrane, les protéines et l’ADN/ARN.
Les photosensibilisateurs inorganiques tels que les nanoparticules semiconductrices sous forme d’oxyde métallique TiO2, ZnO, SnO2, ZnO2, ZrO2, les quantum dots CdS et CdSe/ZnS (QD) présentent de fortes propriétés photocatalytiques avec des effets biocides sur les germes, les bactéries, les champignons et les virus. Les applications cibles de ces composés sont doubles : désinfection des eaux usées et imprégnation des surfaces solides et textiles pour l’autoassainissement.
La nanotechnologie est un outil multidisciplinaire puissant qui propose des stratégies susceptibles de contribuer fortement à la promotion de projets de recherche à travers le monde contre cette maladie infectieuse mortelle qui est le Covid-19.
Régis Barille, Professeur en physique à l’université d’Angers, Université d’Angers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
© Photo d’illustration : Microscope à force atomique. Brookhaven National Laboratory Suivre / Flickr