Nous sommes au 19e siècle, plus précisément en 1864. Cette année-là, l’officier Roudaire, fraîchement diplômé de Saint-Cyr et étudiant à l’École d’état-major, est envoyé en Algérie. Il y découvre les chotts, ces lacs qui se remplissent d’eau après les pluies d’hiver, dans la région de Biskra, à Constantine, au cœur du Sahara. Dans la tête du jeune officier se dessinent alors les prémices d’un projet fou, qui deviendra celui de la « mer Roudaire ».
Une découverte étonnante
Son idée voit le jour lorsqu’il mesure avec précision la profondeur de ces lacs. En 1872, de retour en Algérie après la guerre, il assemble les résultats obtenus lors de ses différentes recherches cartographiques. Roudaire découvre ainsi l’existence dans le golfe de Gabès d’une dépression importante située sous le niveau de la mer, parfois jusqu’à 40 mètres de profondeur.
Il en est alors certain, cette dépression est l’ancien lit d’une mer désormais asséchée : la baie de Triton, dont les traces remontent à l’époque de la Grèce antique. C’est la naissance du projet incroyable du commandant Roudaire ! Dans un article publié le 15 mai 1874 dans la Revue des Deux Mondes, il soumet l’idée de rétablir cette mer intérieure subsaharienne grâce à un canal creusé à Gabès.
La thèse de la mer disparue
Cette terre aride semble avoir abrité la vie autrefois. Des peintures, des silex taillés, des troncs érodés et des traces de végétation sont en effet retrouvés sur les lieux. Une conclusion s’impose à l’officier : une civilisation aurait vécu en plein Sahara, il y a des milliers d’années. Celle-ci se serait certainement développée autour d’une mer disparue d’environ 400 kilomètres de long et alimentée par quatre fleuves : le Souf, l’Ighargar, l’oued Miya et l’oued Djed.
Il reste cependant sans réponse pour expliquer la disparition de tout cet écosystème. Pourtant, les preuves de son existence sont bel et bien là : dans les chotts, il découvre des coquillages, des galets et des concentrations salines importantes.
Un projet fou pour refertiliser le Sahara
Roudaire en est convaincu : raccorder ces chotts, une fois assainis, au golfe de Gabès par des canaux qui achemineraient les eaux de la Méditerranée permettrait de recréer une mer intérieure d’une superficie de 8 200 km². Le climat d’autrefois serait alors rétabli, tempéré par les pluies issues de l’évaporation de cette énorme masse d’eau. Ces dernières pourraient même donner naissance à des rivières et rendre les terres à nouveau fertiles, résolvant ainsi le problème du manque d’eau en Afrique du Nord.
Cette idée folle conquiert finalement les politiques et scientifiques de l’époque. Ceux-ci y perçoivent en effet le moyen de prouver la supériorité du génie civil français alors que le pays vient de perdre l’Alsace et la Lorraine… Ferdinand de Lesseps, célèbre promoteur du canal de Suez, renomme la future étendue d’eau la « mer Roudaine ».
La fin d’un rêve
Le projet semble à deux doigts de prendre forme. Pour la modique somme de 20 millions de francs, il promet une mer de 24 mètres de profondeur et de 8 000 km² de superficie, ainsi qu’une humidité propice à la culture.
Mais le rêve de Roudaire prend fin le 27 juillet 1882, lorsqu’une commission supérieure « de la Mer intérieure » de l’Académie des sciences rend un verdict défavorable. Découragé par des oppositions scientifiques incessantes, il décèdera à Guéret en 1885. Son nom restera méconnu, mais l’histoire de son projet lui survivra…
©Photo : Javier Collarte