Par Joël Guiot, Aix-Marseille Université (AMU) et Wolfgang Cramer, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Le bassin méditerranéen, qui comprend la mer et les pays qui la bordent, est régulièrement présenté comme un « point chaud » des changements climatiques et de la biodiversité. Ces bouleversements engendrent, en interaction avec la pollution, l’utilisation non durable des terres, de l’eau et l’invasion d’espèces non indigènes.
Autant de risques souvent sous-estimés pour les populations et les écosystèmes de la zone, que le récent rapport du MedEcc (Mediterranean Experts on Climate and environmental Change) se propose d’aborder.
Qu’en est-il exactement de ce « point chaud » ? Tout d’abord, on ne peut pas affirmer que les terres de la région méditerranéenne se sont réchauffées plus vite que les autres : sa température a progressé de 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle (1850-1900), égal donc à la moyenne de l’ensemble des terres émergées du globe.
À l’échelle planétaire, le changement climatique sur ces zones est accéléré par rapport aux océans, dont le thermostat mondial progresse de 0,2 °C par décennie depuis la fin des années 1970 ; à cet égard, la mer méditerranéenne figure nettement au-dessus (+0,3 à +0,4 °C par décennie depuis la fin des années 1970).
On ne peut d’autre part pas réduire la notion de « point chaud » des transformations climatiques à la seule température, un facteur du changement global parmi d’autres. Si l’on considère le cocktail de menaces qui pèsent le bassin méditerranéen et notamment ses rives orientale et méridionale, la région apparaît particulièrement vulnérable.
Canicules terrestres et marines
Cette hausse des températures a des conséquences critiques dans cette région au climat naturellement chaud.
En journée, notamment en été, elle devrait atteindre les +3,3 °C par rapport aux étés de l’ère préindustrielle pour le scénario « +2 °C » de l’Accord de Paris ; cela augmenterait très sensiblement l’intensité et la fréquence des canicules. Les villes subiront des pics de chaleurs amplifiés de plusieurs degrés par les surfaces minérales, avec des risques particulièrement importants pour la santé des citadins les plus vulnérables – les enfants, les personnes âgées, les pauvres.
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Ces risques sont accrus par la pollution de l’air, dans des métropoles telles que Le Caire et Marseille, elle-même exacerbée lors des épisodes chauds. L’augmentation du trafic maritime dans des ports comme celui de Marseille, pour satisfaire la demande croissante en croisières touristiques, a des répercussions sur la santé d’autant plus fortes qu’elle génère des pics de dioxyde de soufre et d’oxyde d’azote lorsque les températures estivales atteignent leur climax.
Dans la mer aussi, les canicules plus intenses et plus fréquentes se répercutent sur la biodiversité. À terme, leur effet sur le vivant sera aggravé par l’acidification de l’eau qui absorbe plus de CO2 que l’océan global. Les espèces tropicales arrivant par le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, et via le trafic des bateaux qui transitent par une des routes les plus utilisées au monde, ont tendance à remplacer certaines espèces autochtones, notamment des poissons qui s’adaptent de plus en plus facilement aux températures du nord du bassin.
Successions de sécheresses et d’inondations
Les zones côtières subissent à la fois une augmentation du niveau de la mer qui s’accélère actuellement (4,8 cm depuis 10 ans). Il devrait s’élever de 40 à 120 cm d’ici à 2100, selon les différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Le retrait du trait de côte est par ailleurs amplifié par une diminution drastique de l’apport sédimentaire et par l’urbanisation.
Si cette tendance pose peu de problèmes dans les régions moins peuplées ou à fortes marées ailleurs dans le monde, elle apparaît très préoccupante sur le littoral méditerranéen, où les populations, les agrosystèmes, les sites du patrimoine culturel et les infrastructures côtières se sont établis depuis longtemps sur une côte à faibles marées.
L’« Acqua Alta » de Venise en novembre 2019, avec 190 cm de pic de marée, préfigure ce qui arrivera de plus en plus souvent sur le pourtour méditerranéen lors de submersions marines.
Les précipitations subissent une évolution paradoxale, avec une accentuation de la sécheresse pendant les mois d’été et une augmentation des fortes pluies et donc du risque d’inondation en hiver. Les modèles climatiques indiquent, d’une façon cohérente, une décroissance moyenne de 4 % de la quantité de précipitations par degré de réchauffement global. Dans une zone où les ressources en eau sont déjà insuffisantes pour 180 millions de personnes (au sud et à l’est du bassin), ce manque va s’accentuer, notamment pour le secteur agricole.
D’autant plus que la demande totale du bassin pourrait accroître de 22 à 74 % d’ici à 2100 en raison de l’évolution démographique, du tourisme de masse et de l’agriculture. Et les conséquences seront dramatiques dans le sud et l’est de la Méditerranée dont le climat est déjà qualifié d’aride, et qui concentre les trois quarts de la population du bassin.
Une biodiversité menacée
Avec ses 25 000 espèces de plantes, dont 60 % d’endémiques, le territoire méditerranéen est également un point chaud de la biodiversité. Il a servi de refuge aux espèces végétales et animales pendant la dernière période glaciaire, quand le climat était nettement plus froid et le niveau de la mer 120 mètres plus bas.
Ces écosystèmes sont aujourd’hui sous la triple menace de la sécheresse, de la montée des eaux et de l’intensification de l’utilisation des terres. De nombreuses espèces subissent une forte régression parmi les insectes, les amphibiens ou les reptiles. S’ajoutent à cela le changement climatique, la pollution et la surpêche, trois phénomènes qui affectent profondément les écosystèmes marins méditerranéens, lesquels contiennent 18 % des espèces con-nues pour une superficie de 0,82 % de l’océan global. Sur la période 1950-2011, la Méditerranée a ainsi perdu 34 % des espèces de poissons et la taille des prises a diminué de 20 à 30 %.
Les incendies de forêt dus aux vagues de chaleur, aux sécheresses et à l’abandon d’agropastoralisme seront de plus en plus dramatiques malgré les efforts de prévention et les capacités d’intervention. Ces dernières sont efficaces pour les feux de petites et moyennes tailles, mais beaucoup moins pour les mégafeux qui vont devenir plus fréquents.
Instabilité sociale et politique
S’ajoute à ces caractéristiques naturelles et démographiques du bassin méditerranéen l’instabilité sociale et politique qui l’agite, entraînant des pertes économiques, des conflits et des souffrances importantes des populations. On peut citer l’augmentation des prix des denrées alimentaires en Tunisie qui déclencha en 2011 le Printemps arabe. Bien qu’aucun lien de cause à effet avec le changement climatique ne soit démontré, les transformations attendues à l’avenir sont tellement fortes qu’elles ne seront probablement pas sans impact sur ces instabilités et exigeront des efforts d’adaptation considérables.
Sur le plan économique, la région a une dépendance très forte au tourisme de masse. Avant la crise sanitaire de la Covid-19, elle accueillait 30 % des vacanciers internationaux dans le monde. Le secteur fait face à une double menace des canicules et de la dégradation de l’environnement d’une part, et à la nécessaire décarbonation des transports d’autre part. Le pic de consommation d’eau du tourisme coïncide avec celui de l’agriculture qui exigera une irrigation de plus en plus importante, exacerbant les conflits d’usage.
La crise actuelle précipite ces évolutions et rend inéluctable à court terme un changement de paradigme du développement économique fondé sur la croissance perpétuelle, l’énergie (majoritairement fos-sile) et le gaspillage. Rappelons que le réchauffement climatique constitue aussi une opportunité pour progresser vers des modes de vie plus respectueux de la nature.
Kasia Marini, coordinatrice scientifique pour MedECC au Plan bleu (Centre d’activités régional du plan d’action pour la Méditerranée du PNUE), a contribué à la rédaction de cet article.
Joël Guiot, directeur de recherche émérite CNRS sur le changement climatique, Aix-Marseille Université (AMU) et Wolfgang Cramer, Directeur de Recherche CNRS, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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