Par Isabelle Arzul, Ifremer
Cela fait maintenant une quinzaine d’années que l’on observe des mortalités anormales de coquillages à travers le monde.
En 2008, un génotype particulier du virus OsHV-1 a ainsi fait son apparition ; il semble être à l’origine d’épisodes de mortalités massives affectant les jeunes huîtres creuses en Europe et particulièrement en France.
À partir de 2012, ce sont les huîtres creuses adultes qui présentent des mortalités associées à la bactérie Vibrio aestuarianus dans les bassins ostréicoles français.
Surveiller ces maladies, mieux les comprendre, voire anticiper leur émergence sont une nécessité non seulement pour maintenir une production durable mais aussi parce que ces animaux sont des sentinelles qui permettent de révéler les déséquilibres des écosystèmes côtiers.
Les huîtres plates Ostrea edulis créent par exemple de mini-récifs sous-marins qui servent de support et d’abri à de nombreuses autres espèces. Abondants dans les écosystèmes aquatiques côtiers, les coquillages jouent un rôle essentiel dans leur structure et fonctionnement.
Il faut aussi évidemment évoquer l’importance de la conchyliculture, qui réalise plus de 20 % de la production aquacole mondiale. En France, la production d’huîtres (ostréiculture) représentait, en 2013, 72 % du chiffre d’affaires de la filière conchylicole. L’Hexagone est le premier producteur d’huîtres en Europe.
Un ensemble de déséquilibres
La présence d’un organisme pathogène n’est pas systématiquement synonyme de maladie et de mortalité chez les coquillages. En effet, les organismes pathogènes tendent à se développer et induire des mortalités lorsqu’il y a déséquilibre des interactions entre coquillages, organismes pathogènes, environnement et pratiques culturales ; ce déséquilibre favorise l’émergence des maladies.
En raison de leur mode de production – le plus souvent en milieu ouvert – et de l’absence de production d’anticorps, le contrôle des maladies chez les coquillages ne peut reposer sur l’utilisation de traitements ou de vaccins. La mise en place de programmes de surveillance et la restriction des transferts d’animaux sont les seules mesures actuellement disponibles pour éviter l’introduction de maladies dans des zones indemnes.
Une fois installées, il est toujours possible d’en minimiser l’impact sur les populations de coquillages, en proposant des mesures adaptées de gestion des stocks et/ou en développant des programmes de sélection d’animaux résistants aux maladies.
En 2016, un vaste programme scientifique européen (Vivaldi) a été lancé dans 10 pays pour améliorer nos connaissances sur les maladies des coquillages et développer des outils afin de mieux en contrôler les effets.
Identifier les « coupables »
L’identification et la distinction des espèces de micro-organismes pathogènes sont nécessaires pour ajuster les méthodes de détection et de contrôle des maladies associées.
Pendant longtemps, cette identification a reposé sur la microscopie. Depuis une vingtaine d’années, l’utilisation d’outils moléculaires, comme la PCR et le séquençage de l’ADN, a permis de caractériser de nouvelles espèces et de révéler une plus grande diversité des micro-organismes pathogènes chez les coquillages.
Le virus OsHV-1 évoqué plus haut est un membre de la famille des herpèsvirus qui n’a été à ce jour détecté que chez des bivalves – huîtres creuses, huîtres plates, palourdes et coquilles Saint-Jacques. Le génome complet de plusieurs virus OsHV-1 présents dans des huîtres creuses et provenant de différentes régions du monde a été séquencé.
Cette étude (qui n’a pas encore été publiée) montre des différences en fonction de l’origine géographique des échantillons. Elle confirme qu’il n’y avait pas qu’un seul virus OsHV-1 mais une « constellation de virus » au sein d’une huître infectée.
Autre problématique : les « réservoirs », c’est-à-dire les « compartiments » où peuvent être présents les organismes pathogènes en dehors des coquillages. Cela peut être l’eau, le sédiment ou d’autres organismes marins. D’autres travaux conduits en rade de Brest ont par exemple montré que le parasite Marteilia refringens, qui affecte l’huître plate, est présent dans le sédiment et l’eau.
Jusqu’à présent, la démarche diagnostique reposait sur la recherche des organismes pathogènes dans les coquillages. Puis des systèmes permettant de détecter leur présence dans l’eau, notamment avant le début de l’infection, ont été développés. Le fait de pouvoir détecter le virus OsHV-1 dans l’eau avant les épisodes de mortalités d’huître nous laisse entrevoir la possibilité d’utiliser de tels outils pour la détection précoce du virus.
Des individus plus résistants
À l’instar des mammifères, les coquillages se défendent pour éviter le développement des maladies. Les travaux réalisés sur l’huître creuse ont notamment permis de montrer l’implication de l’autophagie, un mécanisme de dégradation et de recyclage de composants intracellulaires, dans la réponse de l’huître au virus OsHV-1.
Au sein d’une même population, certains individus sont particulièrement sensibles aux organismes pathogènes et d’autres se révèlent plus résistants. Les scientifiques ont étudié chez l’huître creuse les gènes pouvant expliquer cette différence.
L’identification de gènes clés pourrait permettre de comprendre comment les populations d’huîtres font face à des maladies et ainsi sélectionner des animaux plus résistants. Cette sélection ne doit cependant pas se faire au détriment de la diversité génétique ou d’autres caractéristiques intéressantes (taille des huîtres, qualités gustatives…).
Des simulations numériques ont permis de définir de bonnes pratiques à mettre en œuvre en écloserie, afin de limiter la perte de diversité génétique.
Mémoire immunitaire
Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, les mollusques ont une sorte de mémoire immunitaire. Celle-ci se présente sous la forme de motifs dans les protéines, capables de reconnaître les organismes pathogènes auxquels l’animal a déjà été confronté et de déclencher des mécanismes de défense. Des travaux ont permis d’étudier les moyens de stimuler cette réponse.
Les huîtres semblent mieux se défendre face au virus OsHV-1 lorsqu’elles ont été préalablement exposées à une molécule ressemblant au virus. Ce phénomène, appelé « priming », pourrait ouvrir la voie à des formes d’immuno-stimulation. Mieux encore : cette capacité pourrait être transmissible. De premiers résultats semblent montrer que les descendants d’huîtres mises en contact avec ces molécules « stimulantes » survivent mieux à une infection virale, même s’ils n’y ont jamais été confrontés.
Le rôle déterminant de l’environnement
L’environnement joue un rôle essentiel dans l’émergence des maladies chez les mollusques marins ; et les effets de la température, de la salinité, de l’acidité, des nutriments ou encore de la cohabitation avec d’autres espèces ont été étudiés.
Il a ainsi été montré qu’au-delà de 29 °C, le virus OsHV-1 ne provoque plus de mortalité chez les huîtres creuses. En revanche, le pH de l’eau de mer ne semble pas avoir d’impact sur la capacité du virus à induire une infection.
Par ailleurs, la cohabitation avec des espèces compétitrices, comme les moules ou les ascidies, semble être bénéfique pour l’huître creuse. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ce phénomène, notamment la compétition pour la nourriture. L’huître a moins de nutriments disponibles, ce qui réduit son développement, et peut diminuer la multiplication du virus. Des travaux complémentaires sont en cours afin de mieux comprendre ces résultats.
Le microbiote – soit l’ensemble des micro-organismes naturellement présents – des coquillages est également exploré depuis quelques années grâce à de nouveaux outils de séquençage. La structure des communautés microbiennes semble varier en fonction des espèces, de leur habitat mais aussi de la saison. Le microbiote est propre à chaque individu et même à chaque organe. De façon intéressante, un déséquilibre du microbiote des huîtres a été observé au cours d’événements de mortalité : une diminution de la diversité microbienne est alors rapportée.
L’ensemble de ces observations motivent les scientifiques à poursuivre leurs recherches afin d’identifier des profils indicateurs de bonne santé des coquillages ou au contraire révélateurs de dysfonctionnement.
Isabelle Arzul, Docteur en parasitologie, Ifremer
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
©Photo à la une : Huître creuse, Crassostrea gigas. S.Pouvreau/Ifremer, CC BY-NC-ND