Par Hugues Leroux, Université de Lille et Damien Jacob, Université de Lille
Cette semaine, après un périple de 6 ans dans l’espace visant une rencontre avec un petit astéroïde carboné, la sonde Hayabusa-2 est de retour sur Terre.
Dans ses bagages, elle rapporte de précieux échantillons collectés à la surface de l’astéroïde et qui seront étudiés en détail par de puissants instruments de caractérisation de la matière.
Ramener des poussières de l’astéroïde Ryugu jusqu’à Lille
La mission Hayabusa-2, de l’agence spatiale japonaise JAXA, a envoyé une sonde en orbite autour de l’astéroïde Ryugu. Elle l’a cartographié en détail et a prélevé quelques échantillons de sa surface afin de les rapporter sur Terre.
Le retour sur Terre est prévu le 6 décembre 2020. Les échantillons seront disponibles pour les analyses en laboratoire courant 2021. Il s’agira d’une première phase d’étude par des équipes déjà constituées (analyses préliminaires), dont fait partie d’équipe de l’Université de Lille. Ensuite les échantillons seront disponibles à l’ensemble de la communauté scientifique sur la base d’appels à projets.
Ryugu est un astéroïde de type carboné, c’est-à-dire qu’il contient de la matière carbonée. On s’attend également à ce qu’il contienne des phyllosilicates (des silicates qui contiennent de l’eau, sous forme moléculaire ou bien sous forme d’hydroxyles OH). L’étude des échantillons devrait donc permettre des avancées majeures sur des questions fondamentales – d’une part, l’origine de l’eau sur la Terre, et d’autre part, la nature de la matière carbonée primitive qui a potentiellement eu un rôle sur l’émergence de la vie.
Il s’agit du premier retour d’échantillons provenant d’un astéroïde carboné – la première sonde Hayabusa avait ramené des échantillons du petit astéroïde non carboné Itokawa en 2010.
Chercher des indices de la formation du système solaire dans le « congélateur » qu’est l’espace
Pour comprendre pourquoi nous cherchons des indices de la formation du système solaire sur des astéroïdes, il faut parler un peu cette formation. Au sein de notre galaxie, un nuage de gaz et de poussière a commencé à s’effondrer sous son propre poids, il y a environ 4,5 milliards d’années – c’était le début de la naissance du système solaire.
La rotation de l’ensemble du nuage mène à la formation d’un disque « protoplanétaire », au centre duquel se trouve notre soleil naissant. C’est une époque tumultueuse, où la poussière constituant les briques élémentaires du système solaire se transforme profondément par agglomération (on parle d’« accrétion ») et collisions. Progressivement, le disque protoplanétaire s’est transformé pour tendre vers la configuration que nous connaissons aujourd’hui : le Soleil et ses planètes.
Actuellement, on peut observer des disques protoplanétaires dans notre galaxie : il faut chercher dans des régions de formation d’étoiles, par exemple la célèbre nébuleuse d’Orion.
Mais, paradoxalement, on détecte mieux les poussières formant ces disques protoplanétaires quand elles sont petites, et on ne voit que très mal les corps d’une taille supérieure à environ 1 mm, qui absorbent complètement le rayonnement infrarouge utilisé pour leur observation. En conséquence, quand l’accrétion commence dans le disque protoplanétaire, les objets formés deviennent de plus en plus gros et ne sont plus détectés. C’est pourquoi l’étape de formation des corps massifs du système solaire est encore largement méconnue.
À la recherche des briques élémentaires du système solaire
L’étape d’accrétion conduit à la formation d’objets de tailles variables, parmi lesquels les comètes, les astéroïdes et les planètes (les astéroïdes se sont formés dans des régions plus proches du Soleil que les comètes).
Certains astéroïdes font un kilomètre, ou moins. Ils sont particulièrement intéressants, car ils ont préservé en leur sein les briques élémentaires du disque de poussière. En effet, la matière qui les compose n’a pas, ou peu, évolué depuis l’accrétion, car les zones de l’espace qu’ils habitent sont trop froides pour permettre par exemple la croissance des grains ou les réactions chimiques induisant de nouvelles espèces minérales. Ces objets sont, en quelque sorte, des congélateurs du système solaire naissant. Les étudier, c’est remonter dans le temps de 4,5 milliards d’années.
Ces petits objets gravitent généralement autour du soleil sur des orbites stables, appelées ceintures d’astéroïdes ou de comètes. Mais il arrive toutefois que certaines orbites soient déstabilisées. La trajectoire des corps est alors déviée et ils peuvent plonger dans le système solaire interne, là où se trouvent les planètes telluriques, dont la Terre. Cette proximité est alors une magnifique occasion de les étudier de plus près.
La porosité, un indice que la poussière de Ryugu va nous en dire plus que les météorites trouvées sur Terre
Les études spectroscopiques et de thermométrie qui ont été réalisées alors que la sonde Hayabusa-2 était en orbite montrent que l’astéroïde Ryugu est très poreux, y compris à des échelles très fines. Cette porosité confère à l’astéroïde une faible densité et une faible cohésion mécanique.
Jusqu’à présent, nous n’avions pu étudier que de la matière extraterrestre riche en carbone provenant de météorites. Ces météorites sont des fragments d’astéroïdes qui ont traversé violemment l’atmosphère avant de heurter le sol. Il semble peu probable que de la matière très poreuse et fragile mécaniquement, comme celle de Ryugu, puisse survivre à une entrée atmosphérique. Les échantillons amenés de cet astéroïde sont donc scientifiquement uniques, sans équivalent dans les collections de météorites, et certainement assez proche d’un assemblage de poussière primitive faiblement modifié sur l’astéroïde. C’est une configuration idéale pour étudier l’étape de transition du cycle de la poussière entre le disque protoplanétaire et les premiers corps du système solaire.
Dans notre laboratoire de l’Université de Lille, nous étudierons les échantillons de Ryugu avec des techniques d’imagerie et d’analyse chimique de pointe, jusqu’à l’échelle atomique, grâce à des microscopes électroniques en transmission permettant d’obtenir un faisceau électronique plus petit que l’angström, soit plus petit que la taille des atomes. Ce travail est intégré dans un vaste consortium international, avec environ 200 chercheurs mobilisés qui vont étudier ces échantillons de façon très minutieuse.
Décrypter l’infiniment petit pour comprendre l’infiniment grand
Un des défis techniques est de ne pas abîmer les échantillons pendant les étapes de préparation et d’analyse. Par exemple, lors d’une étude par microscopie électronique, la matière est bombardée par des électrons de haute énergie. L’interaction entre le faisceau d’électrons et l’échantillon peut malheureusement induire des modifications irréversibles de la matière étudiée.
La matière carbonée et les phases hydratées des échantillons de l’astéroïde Ruygu sont particulièrement sensibles à cette dégradation sous le faisceau d’électrons. Pour étudier ces échantillons fragiles, nous utiliserons donc une nouvelle génération de détecteurs, qui permettra de minimiser la quantité d’électrons nécessaire à une bonne caractérisation de la matière et réduira de façon importante sa dégradation sous le faisceau d’électrons.
Ce problème de dégradation pendant l’observation d’un échantillon par des électrons est un problème majeur et connu de longue date. Il est particulièrement marqué pour les échantillons biologiques – c’est pour cela que la méthode d’observation « à froid » des échantillons fragiles, appelée cryo-microscopie électronique a été développée, et récompensée par le prix Nobel de chimie en 2017.
Dans un microscope électronique à transmission, un faisceau d’électrons accélérés à grande vitesse traverse l’échantillon et une série de détecteurs recueillent les signaux émis après leurs interactions avec la matière. Ces interactions avec la matière permettent de caractériser celle-ci à une échelle atomique, car, sur les appareils les plus récents, la taille de la sonde électronique utilisée est de l’ordre de grandeur de la taille des atomes.
Nous pourrons ainsi déterminer la nature et l’organisation des atomes qui composent la poussière de Ruygu : certains détecteurs permettront d’étudier l’organisation de la matière, d’identifier les phases solides qui composent l’échantillon, de décrypter les microstructures et leur formation ; d’autres détecteurs seront dédiés à l’analyse chimique, incluant l’étude de la valence des éléments.
In fine, ces études à l’échelle atomique devraient permettre de reconstituer une partie du chaînon manquant dans les étapes de formation de notre système solaire.
Hugues Leroux, Professeur des Universités, Université de Lille et Damien Jacob, Professeur, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.