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Planète

Pourquoi la pollution plastique des côtes est largement sous-estimée

Par Julien Bailleul, UniLaSalle

Julien Moreau, chercheur et fondateur de Plastic@Bay est co-auteur de cet article.

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les images illustrant la pollution marine globale sont nombreuses et souvent impressionnantes lorsqu’elle affecte de manière spectaculaire les communautés côtières. Étrangement, le public semble ignorer que cela se passe aussi chez eux, sur leurs plages, dans leurs champs et dans leurs rivières.

Les océans étouffent, envahis par des dizaines de millions de tonnes de plastique qui y ont été déversées, mais les sociétés semblent étrangement dans le déni. La pollution est devenue dans l’esprit de beaucoup un phénomène quasiment normal, que l’on ne voit plus.

Carte de localisation de la baie de Balnakeil en Écosse. Plastic@Bay CIC

Le plastique a pris une telle place sur les côtes qu’il peut désormais être considéré comme un nouveau type de sédiment, qui se déplace et s’accumule dans notre environnement côtier pour in fine contaminer l’ensemble du vivant.

Invisible plastique

Sur la plage de la baie de Balnakeil, 3 à 5 kg de plastique sont ramassés quotidiennement, soit 1 à 1,5 tonne par an. Les visiteurs ne voient pourtant pas beaucoup de plastique sur cette plage perdue au bout de l’Écosse, car de nombreux résidents ont pris l’habitude de ramasser ce qu’ils y trouvent. Ce ramassage anonyme est probablement l’effort de nettoyage global le plus important, avant les actions communautaires ou professionnelles.

Portail montrant les quantités cumulées de plastique ramassé dans la baie de Balnakeil depuis avril 2017 (en bleu). En orange les vitesses d’accumulation de plastique déduites en kg/jour.
capture d’écran Plastic@Bay CIC

Nous avons récemment lancé un programme de science citoyenne permettant à n’importe qui, n’importe où dans le monde, de soumettre le poids du plastique ramassé au cours d’une collecte. Cette méthode simple nous a aidés à illustrer localement l’échelle de la pollution, en partenariat avec les autorités et le public. Une démarche de partage d’information à laquelle nous invitons fortement les individus, associations et gouvernements à participer via notre portail Internet ou d’autres outils similaires.

Le caractère invisible du plastique sur les plages est aussi lié à sa façon de se déplacer et se déposer. Comme l’indique le graphique, sa vitesse d’accumulation estimée varie considérablement, allant de 1 kg/jour de plastique en été jusqu’à 140 kg/jour en hiver. Dans notre région subarctique, nous avons essentiellement des visiteurs en été, là où le plastique est moins présent. Les forts pics de pollution hivernaux sont en effet associés à des tempêtes qui ont la capacité de déposer une tonne de plastique sur la plage en quelques jours. Une semaine plus tard, vous n’en verrez plus que quelques kilos.

Tempêtes et stockage du plastique

Pour comprendre ce phénomène, il faut se pencher sur la sédimentologie des plages et leur réponse aux tempêtes. Par temps calme, en particulier en été, la plage est haute et descend en pente douce des dunes jusqu’à la mer. Le profil de la plage est dit « à l’équilibre » ; par conditions calmes, les sédiments vont se déposer pour préserver cette pente douce. Lors d’une tempête, le niveau de l’eau monte et les vagues vont aller percuter les dunes jusqu’en haut de la plage. Toute cette énergie commence par saper la base des dunes mais va progressivement aplanir le profil de la plage, jusqu’à le rendre quasi horizontal.

Le cycle du plastique côtier. Plastic@Bay CIC

Les fortes tempêtes prennent leur source dans les tropiques, notamment dans le golfe du Mexique. Elles vont lécher les côtes est-américaine et canadienne avant de traverser l’Atlantique Nord et venir percuter le nord-ouest de l’Écosse.

La capacité d’érosion de ces phénomènes climatiques ainsi que les précipitations vont alors arracher les plastiques accumulés en bords d’océan et de rivières tout au long de leur trajectoire, et emporter ainsi de grandes quantités de pollution. En bout de course, ces énormes volumes de plastique sont projetés sur la côte écossaise et peuvent y rester bloqués, sous certaines conditions que nous identifions au fil de l’article, lorsque la tempête se calme. En quelques jours, le sable ou les galets peuvent reformer le profil d’équilibre de la plage et enfouir tout le plastique, le rendant potentiellement inaccessible.

Opération de nettoyage d’un filet enfoui par une tempête il y a 13 ans. Le filet a finalement pu être totalement enlevé après 3 ans de travail, à la faveur d’une forte tempête en février 2020. Le poids total du filet était aux alentours de 700 kg. Plastic@Bay CIC

Ce phénomène de stockage du plastique est très méconnu et généralement ignoré dans les estimations globales du plastique présent dans l’eau. Dans un rayon de 50 km autour du Cape Wrath, Plastic@Bay a ainsi estimé que 1000 à 2000 tonnes de plastique seraient enfouies.

Le plastique concentré dans la baie

Pour estimer la quantité de plastique marin flottant, les équipes scientifiques utilisent des filets qui sont traînés à l’arrière de bateaux. Les particules de plastique capturées sont ensuite comptées et en fonction de la distance parcourue et de la taille du filet, une concentration est estimée. Ces mesures se font généralement en haute mer et par temps calme, loin des conditions au cours desquelles nous observons les déplacements majeurs de plastique. Aux environs du Cape Wrath, les mesures relèvent environ 20 plastiques par kilomètre carré. Or dans la baie de Balnakeil, nous ramassons l’équivalent de 70 plastiques par jour sur la plage, pour une surface bien inférieure à 1 km2.

Pour comprendre l’origine de cette différence, nous avons donc essayé de reproduire les conditions connues en mer dans la zone grâce à un modèle océanographique simulant la marée et le vent. Il nous montre que lorsque la marée monte dans la baie, elle aspire un très grand volume d’eau et donc de plastique au large, vers l’intérieur des terres. Au cours des différents cycles, le plastique va donc se concentrer de plus en plus dans la baie.

La marée et le vent contribuent à la concentration et l’accumulation de plastique dans la baie de Balnakeil.

En parallèle, un vent récurrent très puissant pousse les plastiques en direction du Nord-est, donc de la plage. Par temps calme, si le plastique se déposait uniquement le long de la ligne de marée haute, très peu s’accumulerait car les marées suivantes seraient capables de le remettre en mer.

Néanmoins, le vent puissant et constant pousse les plastiques vers l’intérieur des terres, les rendant inaccessibles aux marées successives. C’est donc la combinaison des tempêtes, de la marée et du vent qui concentrent la pollution plastique dans certaines zones côtières et créent des accumulations majeures. Seules d’autres tempêtes, les plus fortes, ont le pouvoir de remobiliser et rendre cette pollution accessible.

Petite baie reculée située 30 km au sud de Balnakiel où le plastique s’accumule depuis des décennies. Nous avons évalué à 15 à 20 tonnes la quantité de plastique enfoui et à la surface sur 300 m de large. Plastic@Bay CIC

Comprendre le cycle côtier du plastique

Il est désormais communément admis que le plastique a des effets néfastes pour la santé et la survie de l’écosystème global. Ses particules ont été retrouvées dans tous les types d’organismes, y compris les humains. Selon WWF, nous en ingurgitons en moyenne 5 grammes par semaine.

Ce matériau ne se dégrade par ailleurs réellement que par l’exposition aux UV de la lumière naturelle. Le plastique enfoui reste donc intact et peut lentement polluer pendant des milliers d’années, voire plus. Les effets de sa concentration sur certaines plages sont marquants : leur identification est donc primordiale pour pouvoir nettoyer ces zones d’accumulation très régulièrement.

Ce nettoyage constitue un moyen peu cher de « diluer » la concentration globale de plastique dans l’océan. Pour être efficaces, nous avons calculé qu’il faudrait nettoyer tous les 4 jours, être immédiatement présents après les fortes tempêtes et ainsi récupérer le plastique accumulé depuis des décennies.

Grâce à cette méthode, le stock local de plastique enfoui baisse au cours des années. Les plages avoisinantes ne sont plus nourries par l’éventuelle remobilisation du plastique de la Baie de Balnakeil durant les plus fortes tempêtes. Il est donc essentiel qu’elle se généralise, que les États se saisissent du nettoyage professionnel des plages. C’est indispensable à la fois pour ne plus dépendre du bon vouloir de volontaires et gagner en efficacité, d’autre part pour réaliser des évaluations réalistes de la pollution, qui intègrent son coût réel et contribuent au débat sur les 99 % de plastique manquant.The Conversation

Julien Bailleul, Enseignant-chercheur en géologie sédimentaire et analyse de bassin, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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