Par Laurette Piani, Université de Lorraine et Guillaume Paris, Université de Lorraine
La Terre est la seule planète connue à posséder de grandes étendues d’eau liquide à sa surface. Cette eau nous est indispensable et sa présence peut nous sembler absolument naturelle. Mais sait-on vraiment d’où vient l’eau sur notre planète ?
Question non triviale car on a longtemps pensé que la Terre s’était formée « sèche » (sans eau) du fait de sa proximité au Soleil et donc de la chaleur qui régnait lors de sa formation. Un concours de circonstances cosmiques aurait permis que des corps célestes, comètes ou astéroïdes, provenant des confins de notre système solaire percutent la jeune Terre, y apportant de l’eau et faisant d’elle une planète probablement unique dans l’Univers.
Une étude sur des météorites récemment publiée par notre équipe révèle que l’eau – ou du moins ses constituants, l’hydrogène et l’oxygène – aurait pu être simplement présente dans les roches disponibles dans l’environnement de formation de notre planète. Ceci pourrait rebattre les cartes sur la probabilité d’existence d’autres planètes bleues.
De l’eau sur Terre, de l’eau sous terre
D’abord, il nous faut définir ce qu’est l’eau et où celle-ci se trouve. La « planète bleue » est couverte d’eau sur plus de 70 % de sa surface. Les mers et océans représentent environ 96,5 % de l’eau présente dans les enveloppes externes de la Terre (surface et atmosphère), tandis que les 4 % restant correspondent principalement aux glaciers et calottes glacières, aux nappes phréatiques et à l’ensemble des autres réservoirs tels que les lacs, rivières, l’humidité des sols, la vapeur atmosphérique, etc. Si cette eau omniprésente à la surface de la Terre nous paraît très abondante, elle ne constitue en fait qu’un faible pourcentage de la masse totale de la Terre, de l’ordre de 0,02 % – elle serait entièrement contenue dans une sphère de 1300 km de diamètre, soit environ la taille de l’Allemagne du nord au sud.
En fait, l’intérieur de la Terre pourrait constituer le principal réservoir d’eau terrestre, avec, selon les estimations, entre 1 et plus de 10 fois la quantité totale de l’eau des océans.
Bien que l’eau dans les couches externes soit principalement sous la forme bien connue de deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène, H20, ce que l’on appelle « eau » à l’intérieur de la Terre fait plutôt référence à de l’hydrogène incorporé sous différentes formes dans les minéraux, les laves et les fluides. Cet hydrogène peut s’associer à l’oxygène des minéraux pour former de l’eau, si les conditions de pression et température le permettent.
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La Terre a-t-elle toujours été bleue ?
L’eau représente moins de 0,5 % de la masse totale de notre planète. Elle n’en reste pas moins fondamentale tant pour la formation et l’évolution de notre planète que pour l’émergence, l’évolution et le maintien de la vie à sa surface.
Comment est arrivée « l’eau » dans le système solaire en formation ?
Dans le système solaire en formation, l’hydrogène représentait plus de 91 % des atomes présents, mais majoritairement sous forme de gaz de dihydrogène, H2. Plus rarement, l’hydrogène pouvait s’associer à d’autres atomes pour former de l’eau, du méthane (CH₄), de l’ammoniac (NH₃), etc.. Pour savoir si l’hydrogène peut s’incorporer dans les corps planétaires en formation, il faut connaître la température : la glace (forme solide de l’eau, mais aussi du méthane ou du dihydrogène par exemple) peut être incorporée aux roches en formation, contrairement aux gaz.
L’oxygène, lui, s’associe facilement au silicium ou autres cations – fer, magnésium, etc. – pour former des minéraux, quelle que soit la température. Or, la température diminue avec la distance au Soleil et au cours des premiers millions d’années. L’eau est la molécule qui se solidifie en premier lors du refroidissement. Aux très faibles pressions qui régnaient alors, l’eau passe directement de l’état gazeux à solide à une température de l’ordre de – 120 °C.
La Terre et les autres planètes rocheuses (Mercure, Vénus et Mars) se formèrent dans la zone interne du système solaire, proche du Soleil, où il fait trop chaud pour que l’eau soit stable sous forme de glace. Ainsi, ces planètes ne contenaient pas de glace d’eau dans leurs constituants rocheux, et sont donc considérées comme étant initialement « sèches ». Mais alors, pourquoi la Terre a-t-elle maintenant autant d’eau, en son sein et à sa surface ?
L’hypothèse historique : l’hydrogène a été amené sur Terre par des météorites
Certaines météorites, appelées chondrites, proviennent de petits astéroïdes qui, à la différence des planètes, n’ont pas évolué géologiquement depuis la formation du système solaire, et ont pu ainsi préserver leurs matériaux primaires. Parmi ces chondrites, certaines, comme les chondrites carbonées, se forment suffisamment loin du Soleil pour que la glace d’eau soit présente et s’agglomère avec les autres solides. D’autres chondrites, les chondrites ordinaires et à enstatite, proviennent de petits astéroïdes qui se forment, eux, plus proche du Soleil, là où l’eau se trouve en phase vapeur et ne peut pas être retenue dans les roches. Comme les planètes rocheuses, ces chondrites ordinaires et à enstatites sont alors dites « sèches ». Par conséquent, elles ont été ignorées comme source d’eau pour la Terre en formation par les scientifiques.
Les hypothèses historiquement admises sont que la Terre se serait formée avec des matériaux secs. Les briques constituantes de l’eau aurait été apportée par des corps célestes formés loin du soleil : des comètes (une hypothèse contrariée par les mesures de la sonde spatiale Rosetta, de l’ESA) ou des météorites hydratées (c’est-à-dire contenant initialement de la glace d’eau qui forme des minéraux hydratés avec de l’hydrogène dans leur structure), de type chondrites carbonées.
Une autre hypothèse : la Terre n’était pas si « sèche » que ça au départ
Notre étude récente révèle une histoire différente. Nous avons réalisé l’analyse de l’hydrogène de chondrites à enstatite, analogues des roches de la Terre en formation. La concentration en hydrogène dans ces roches « sèches » nous informe sur la possible présence d’eau dans la Terre en formation.
Les rapports isotopiques, qui quantifient les différentes formes d’un même atome selon leurs nombres de neutrons, sont de véritables empreintes digitales des éléments chimiques et permettent d’affiner la comparaison entre la Terre et les chondrites à enstatite. Nos mesures montrent que les chondrites à enstatite, bien qu’elles ne contiennent pas de minéraux hydratés, possèdent des quantités significatives d’hydrogène avec un rapport isotopique coïncidant avec celui de la Terre. Elles pourraient donc expliquer la totalité de l’eau contenue dans le manteau de la Terre et une partie de l’eau de surface (océans). Cet hydrogène serait présent en infimes quantités dans les minéraux et composés carbonés qui se sont agglomérés pour former les chondrites à enstatite. La majorité des briques (H et O) à l’origine de l’eau de la Terre aurait donc pu être présentes dès le départ.
Quelles conséquences pour une origine locale de l’eau ?
Ainsi, la Terre aurait contenu de l’hydrogène et l’oxygène en grande quantité et avec les bonnes compositions isotopiques dès le début de sa formation. Si cela ne nous dit pas quand sont apparus les océans en surface, on sait à présent que les briques nécessaires à l’apparition de l’eau n’ont pas eu besoin d’être apportées par des corps hydratés formés très loin du Soleil. Il reste néanmoins à comprendre sous quelle(s) forme(s) et par quel processus l’hydrogène a pu être incorporé et conservé dans les roches du système solaire interne.
La présence d’hydrogène dans les roches du système solaire interne est d’autant plus importante que cet hydrogène a pu être une source pour l’eau des autres planètes rocheuses de notre système solaire (Mercure, Vénus et Mars) et pourrait, par analogie, représenter un réservoir d’eau pour des planètes orbitant autour d’autres soleils.
Laurette Piani, Cosmochimiste, chargée de recherche CNRS au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) de Nancy, CNRS, Université de Lorraine et Guillaume Paris, Géochimiste, chargé de recherche CNRS au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.