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Société

Quand Saint-Marc résiste à Alex


Le système d’ingénierie MOSE a
permis à la célèbre place de Venise de résister aux inondations perpétrées par la tempête Alex. Une première dans son histoire mouvementée avec l’eau.

Conséquence du réchauffement climatique, Venise affronte, depuis quelques années, des records de montées des eaux, ou « acqua alta », qui repoussent presque systématiquement ceux enregistrés depuis plus d’un demi-siècle.  En novembre dernier, la Cité des Doges avait connu un phénomène exceptionnel de pic de marées de 1,87 mètre, déclenchant les sirènes d’alarme, inondant les ruelles et provoquant un puissant sirocco faisant déferler des vagues sur la place Saint-Marc. C’était alors la deuxième plus haute marée enregistrée depuis le début des relevés, en 1923, derrière celle de 1,94 mètre observée le 4 novembre 1966.

La tempête Alex, compte tenu de sa force, avec des vents allant jusqu’à 180 km/h, aurait pu trouver sa place dans ce triste palmarès. Mais pour la première fois, le projet MOSE s’est dressé contre ce qui aurait pu être une nouvelle catastrophe naturelle pour Venise.

Des digues artificielles 

Acronyme italien « Modulo Sperimentale Elettromeccanico » renvoyant à l’expression « module expérimental électromécanique », Mose est un réseau de caissons remplis d’eau pouvant se relever en 30 minutes. En s’élevant, il créé une barrière capable de résister à une montée des eaux dès que le niveau d’alerte est supérieur à 1m10. Concrètement, ce sont 78 digues flottantes qui sont placées aux trois points d’entrée de la lagune avec l’Adriatique (Lido, Malamocco, et Chioggia) sur une longueur de 1600 mètres. Réparties en quatre tronçons avec d’énormes trappes, elles peuvent se fermer ou s’ouvrir selon les mouvements de la marée, pour faire barrage en cas de montée de l’Adriatique. Ce système d’ingénierie permet donc « l’imperméabilisation » de la ville et de sa lagune contre les marées exceptionnelles.

Toujours en travaux, c’est finalement un test grandeur nature qui s’est opéré samedi 3 octobre pour Mose. Réussi par conséquent, puisque les digues sont parvenues à contenir une « acqua alta » prévue à 1m35 au-dessus du niveau 0 de la mer et préservant la cité des Doges de l’inondation attendue de ses ruelles. D’autres tests sont programmés avec une livraison finale du projet – qui a coûté 5 milliards d’euros – prévue pour 2021. 

Une solution fiable ? 

Une « partie de la solution » répond plutôt la communauté scientifique. Mais pas complètement fiable pour autant. Parmi les critiques : le projet a été pensé en 1984 et le niveau de la mer n’était alors pas celui qu’il atteint aujourd’hui. L’ingénieur Luigi D’Alpaos, professeur émérite du département d’hydraulique de l’université de Padoue, l’avait d’ailleurs relevé dans un entretien à l’agence de presse italienne AGI en 2019, « ce phénomène a été sous-estimé par le Consorzio Venezia Nuova d’une manière inconcevable par rapport aux prévisions d’un organisme international tel que le GIEC qui dans les années 90 estimait à 50 centimètres la hausse probable du niveau moyen de la mer, tandis que le Consorzio Venezia Nuova l’actait à 22 cm ». 

Une autre pose la question de l’impact environnemental de Mose. Dans The Conversation, en 2018, les océanographes Carl Amos et Georg Umgiesser avaient mis en évidence le danger du système sur l’environnement. « Si le niveau de la mer augmente de 50 cm, les digues flottantes de Mose devront se fermer presque quotidiennement pour protéger la ville des inondations. Or une partie des eaux non traitées de Venise s’écoule directement dans la lagune via les canaux, puis s’évacue dans la mer. Fermer quotidiennement les entrées pourrait ainsi aggraver la pollution microbiologique et l’eutrophisation dans la lagune », avaient-ils écrit dans leur tribune intitulée sans ambages Face à la montée des eaux, comment sauver Venise ?

Mais au-delà de la simple fiabilité de Mose, c’est la réponse unique qui ne convainc pas. Car la question climatique n’est pas le seul danger qui guette Venise. Bien d’autres facteurs interviennent dans le risque de voir la ville engloutie par les eaux en 2100, telle que le prédisent certains experts. Parmi ces facteurs, la construction des môles pour accueillir les grands navires, qui a petit à petit privé la lagune des apports de sables que la mer amenait régulièrement et qui constituaient des barrières « naturelles ». Mais aussi, le creusement du « canal du pétrole » pour permettre le passage des pétroliers à fort tonnage jusqu’au port de Marghera, en passant par Venise, et qui favoriserait aujourd’hui des entrées d’eau plus massives et plus rapides de la mer Adriatique dans la lagune. Ou encore, la perte par  la lagune d’un million de mètres cubes de sédiments par an, ce qui se traduirait par un approfondissement des eaux de la lagune de près de 15 centimètres en cinquante ans. Et enfin, la hausse de la salinité dû à la montée du niveau de la mer qui attaquent les bâtiments de la ville, malgré les importantes rénovations de fondations et de canaux opérées en continue. 

Depuis plusieurs décennies, toutes les disciplines scientifiques œuvrent pour porter secours à la lagune. Mais pour Carl Amos et Georg Umgiesser, pour éviter le scénario catastrophe, seule « une solution radicale » est envisageable à condition que « les problèmes de pollution, d’eaux usées et d’activités portuaires » soient résolus. « Nous aurons alors une lagune d’eau douce, différente de celle que nous connaissons, mais à même de sauver la Sérénissime » avaient-ils conclu…

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