Avocat en droit du numérique et de la santé, Pierre Desmarais accompagne les établissements et industriels de santé dans l’élaboration de leurs projets numériques. Certifié ISO27001 et ISO27005, il se focalise plus particulièrement sur les problématiques de sécurité du système d’information. Durant la crise sanitaire et économique liée à l’épidémie de Covid-19, Me Desmarais suit avec attention les nombreuses mesures prises par le gouvernement, influant régulièrement sur le cadre juridique. Il apporte, aux lecteurs d’Aquæ, un éclairage sur les ordonnances prises et leurs applications.
Anti-cadeaux, le dispositif commence à se dessiner
Profondément revu en 2017, le dispositif « Anti-cadeaux » – aussi connu sous l’acronyme tiré de la loi de 1993 portant Diverses Mesures d’Ordre Social – commence enfin à se dessiner, avec la parution au Journal officiel du 17 juin 2020 du décret n° 2020-730 du 15 juin 2020.
Applicable au 1er octobre – on espère donc que les deux arrêtés encore attendus seront parus d’ici là –, le texte permet d’ores et déjà de comprendre le fonctionnement du dispositif, exposé dans la carte mentale jointe. Ce qui ne transparaît pas clairement dans le document joint, ce sont les incertitudes, les zones de flou, sources d’insécurité juridique pour des acteurs passibles de sanctions pénales.
Première question, et non des moindres, qui seront ces acteurs ? Du côté des bénéficiaires de l’offre d’avantages, les textes sont clairs. Alors que du côté de l’offreur, justement, la notion de personne « assurant des prestations de santé » est définie par référence à des cadres juridiques particulièrement évolutifs. En effet, en visant les régimes « d’autorisation, d’agrément, d’habilitation ou de déclaration prévus à la sixième partie » du Code de la santé publique où certains régimes prévus par le Code de l’action sociale et des familles sont fréquemment modifiés, aussi bien par le législateur que par le gouvernement, celui-ci s’est de toute évidence facilité le travail, mais les conséquences mécaniques pourraient être lourdes pour les acteurs du marché. Nul n’est censé ignorer la loi… et les personnes susceptibles d’assurer « des prestations de santé » doivent actualiser leur connaissance de cette loi au quotidien, donc.
Un autre sujet, concernant ces offreurs, tient au flou de la définition. Les personnes qui assurent des prestations de santé sont notamment celles « qui exercent une activité relevant d’un régime d’autorisation, d’agrément, d’habilitation ou de déclaration ». Quid des personnes intervenant en soutien de ces activités, sans les exercer directement ? En termes concrets, la société de conseil accompagnant un établissement à l’obtention d’une autorisation d’activité chirurgicale n’exercera pas l’activité en pratique. Mais elle permettra à son client de le faire. Devra-t-elle entrer dans le champ du dispositif Anti-cadeaux ?
Viennent ensuite les questions relatives au contrat conditionnant une dérogation à l’interdiction d’offre d’avantages. Leur contenu pourra être fixé par un « accord » entre l’Ordre concerné et les représentants des offreurs. L’idée de base est bonne – même si elle limite la liberté contractuelle –, mais la réalisation va s’avérer délicate. Tous les domaines d’activité ne sont pas fédérés autour d’un unique représentant. Les activités de transport sanitaire, soumises à autorisation, sont particulièrement concernées, puisqu’elles impliquent des professions différentes. Comment cet accord Ordre/Représentant pourra-t-il être rendu opposable sans intervention du ministre pour l’approuver, comme c’est le cas, par exemple, de toutes les conventions passées avec l’Assurance maladie ?
Imaginons que l’accord type qui soit ainsi validé ne soit pas opposable, mais simplement la branche d’une alternative entre lui et un contrat « à façon ». Les offreurs vont alors pouvoir recevoir, dans le cadre des dérogations sujettes à déclaration, des « recommandations » de l’Ordre. Quelle en est la valeur juridique ? Les offreurs devront-ils s’y conformer ou pourront-ils les ignorer ? Le cas échéant, devront-ils documenter les raisons les conduisant à écarter une recommandation ordinale ? Ces questions restent ouvertes, avec un enjeu de taille : 2 ans d’emprisonnement et une amende de 150 000 euros, ce montant pouvant être porté à la moitié des dépenses engagées par l’offreur.
Espérons qu’une circulaire viendra rapidement éclaircir ces points, plutôt que d’envisager une application du dispositif Anti-cadeaux allant au-delà des attentes du législateur.