Par Philippe Sueur
Président de l’ANETT
(Association nationale des élus des territoires touristiques)
Maire d’Enghien-les-Bains
Les lecteurs d’AQUÆ le savent plus que d’autres, l’eau est source de la vie, richesse abondante et fragile, qu’il convient d’urgence de protéger davantage. Plus que jamais aujourd’hui, l’enjeu est de garantir l’équilibre du monde vivant immensément complexe, du plus petit au plus grand. C’est un ordre biologique qu’il faut continuer à étudier, sans jouer les apprentis sorciers, de manière à en comprendre les mécanismes pour en respecter les principes, afin de se préserver d’une catastrophe comme celle que nous vivons actuellement et dont nous ne connaissons pas le terme.
C’est certainement l’équivalent d’une Troisième Guerre mondiale, car la pandémie est générale, totale et mobile.
Depuis l’Antiquité, des épidémies graves, voire des pandémies, ont décimé jusqu’à 40 % des populations visées.
Celles qui frappèrent Rome vers 150, entre 251 et 260, puis en 542, conduisirent au « renversement » du monde romain, sujet insuffisamment étudié aujourd’hui. Toutefois, ces crises sanitaires, de la grippe espagnole à celle du début du XXIe, ont produit d’immenses progrès de la médecine, mais elles n’ont pas structuré la mémoire, ni renforcé la prévention ou abaissé l’orgueil de l’homme, convaincu que science et progrès sauront toujours brider les assauts de la nature.
Dans le drame que nous vivons, la réponse des pays est variable, comme les résultats, selon le degré d’organisation sanitaire des États et les stratégies gouvernementales. Il n’est pas l’heure de chercher les responsabilités, mais de constater la déliquescence de notre système de santé, l’absence de conscience des risques majeurs, et de déplorer l’orthodoxie idéologique des « frontières ouvertes », ainsi que le dogmatisme des autorités sanitaires et administratives dans le premier temps de crise.
En revanche, saluons la discipline des Français, leur solidarité et l’exceptionnel engagement des soignants.
Passé ce tragique épisode, le monde, selon son degré de dégâts, de pertes humaines, devra retrouver son quotidien, sa capacité de produire, de consommer, sans doute différemment et peut-être réviser son individualisme insouciant. Nous-mêmes, après 60 jours de confinement consommerons-nous ou nous divertirons-nous de la même manière qu’hier ? Jusqu’au vaccin, dans un an ou plus, et en l’absence d’immunité collective, la vie économique, sociale, culturelle sera profondément altérée.
La casse des outils de production et de services sera considérable. Dans le secteur qui est le nôtre, le tourisme (2 300 000 de salariés – 8 % du PIB), et plus particulièrement le thermalisme, le tourisme de santé et de bien-être, les dommages sont considérables et je crains que nombre d’acteurs ne s’en relèvent pas. Certes, peut-être à partir de mi-juillet, le tourisme intérieur retrouvera du souffle, mais dans quelles conditions ? L’ANETT et toutes les organisations représentant les communes touristiques travaillent d’ores et déjà en étroite collaboration avec les ministères pour organiser la réouverture, les aides et la reconstruction.
Toutefois, soyons conscients que ce « tsunami » pourrait se renouveler ! Nos gouvernants et ceux du monde devront faire le bilan de leur politique et des capacités de réponse à une future pandémie, mais ils devront plus largement et très profondément repenser nos modèles ; repenser nos mobilités et nos politiques industrielles décloisonnées et interdépendantes. Chacun le sait, la Chine est devenue la « manufacture » du monde (frôlant le tiers de la valeur ajoutée de la production industrielle mondiale). Notre industrie pharmaceutique est délocalisée en Chine, Inde et Pakistan (l’Europe ne produit plus de paracétamol et ne parlons pas des masques !) ; la supply chain de la sous-traitance électronique est déplacée en Chine et ailleurs ! S’il est évident qu’il faudra refondre nos politiques de santé et de prévention, il sera impératif de repenser les circuits de production de l’agroalimentaire, car en cas de crise financière, nous n’échapperons pas, dans quelques mois, à une crise alimentaire si le mal perdure jusque fin 2021.
Bref, il faut réviser les conditions de l’âge d’or mondialisé ! Il convient, et ce n’est pas un propos souverainiste, de reconstituer les conditions de l’indépendance salvatrice face à tout virus. Le mot virus, en bas latin, signifie « venin », « amertume », « suc de plante létale », mais pour nous, il signifie « propagation », comme le virus biologique, nous savons que les virus informatiques et financiers peuvent aussi ruiner une entreprise comme un monde.
Néanmoins, dans tout cela, la vraie question n’est-elle pas le rapport de l’homme et de la nature et, plus philosophiquement, quelle est la nature de l’homme dans un monde matérialiste, individualiste et existentiel, qu’un infiniment petit, invisible, déstabilise au point d’en être germe de mort physique et peut-être économique.
Si Saint-Exupéry a écrit, dans Citadelle, « l’avenir, tu n’as point à le prévoir, mais à le permettre », il a aussi souhaité « remettre l’esprit à sa vraie place. Si on ne le fait pas, l’humanité s’ensevelira dans ses propres mains » (juillet 1943).
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