Avec l’aval de la CNIL, de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’application mobile de traçage numérique des contacts devrait être déployée dès le 2 juin dans l’objectif de casser les chaînes de transmission du coronavirus, tout en assurant le respect des données personnelles des utilisateurs.
L’application mobile de traçage StopCovid a obtenu, dans la nuit du 27 au 28 mai, la double approbation du Parlement français. Sur les bancs de l’Assemblée nationale, le lancement du dispositif a ainsi récolté 338 voix pour et 215 contre. Quant aux sénateurs, 186 ont donné leur accord, 127 s’y sont opposés et 29 se sont abstenus.
StopCovid est un service de « contact tracking » qui a pour vocation d’alerter, sur la base du volontariat, les individus qui se sont trouvés à proximité de porteurs du virus afin d’endiguer la pandémie de coronavirus. Pour le gouvernement français, ce processus représente « la brique technologique d’une stratégie sanitaire ».
Développée par l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), elle s’inscrit dans l’éventail de ressources mobilisées dans la cadre du plan national de déconfinement, plus particulièrement dans la deuxième phase, qui doit être engagée le 2 juin prochain. Date à laquelle l’application devrait donc être disponible au téléchargement.
Mémoriser l’historique des contacts pour casser la chaîne de transmission
Techniquement, le système repose sur le protocole ROBERT, pour ROBust and privacy-presERving proximity Tracing (littéralement, « Traçage de proximité robuste et respectueux de la vie privée »). Celui-ci permet de mémoriser, via les signaux Bluetooth des téléphones mobiles des usagers, l‘historique des contacts, tout en veillant au respect des données personnelles.
D’une part, sont donc enregistrés les contacts d’autres utilisateurs qui sont restés à moins d’1 mètre pendant plus de 15 minutes, par exemple dans un commerce ou un transport en commun. D’autre part, l’utilisateur a la possibilité de signaler s’il a été testé positif, et ce, au moyen d’un code fourni au moment du diagnostic. Dès lors, les personnes qui ont croisé, dans les jours précédents, cet individu affecté par le virus sont alertées et peuvent prendre les dispositions nécessaires. Elles sont invitées à s’isoler et à consulter un médecin pour effectuer un test si nécessaire.
L’objectif est donc de casser les chaînes de transmission de l’infection. Selon les chercheurs de l’université d’Oxford, le « contact tracking » peut effectivement s’avérer utile pour arrêter la propagation du virus. Dans une étude parue le 31 mars 2020 dans la revue Science, ils expliquent que l’ampleur de la pandémie justifie le recours à des stratégies exceptionnelles là où les méthodes traditionnelles sont insuffisantes. Les applications mobiles présentent l’avantage de l’instantanéité d’enregistrement et d’alerte : « Notre analyse suggère que près de la moitié des transmissions de coronavirus se produisent dans la phase très précoce de l’infection, avant l’apparition des symptômes, et nous avons donc besoin d’une application mobile rapide et efficace pour alerter les personnes qui ont été exposées. Notre modélisation mathématique suggère que les méthodes traditionnelles de traçage des contacts de santé publique sont trop lentes pour suivre ce virus », développe le Pr Christophe Fraser, du Big Data Institute du département de médecine de Nuffield de l’université d’Oxford.
L’indispensable protection des données et la limitation du dispositif à la crise
Cela étant, la méthode fait débat depuis des semaines, et ce, en raison du risque lié à la vie privée, comme le souligne Me Pierre Desmarais, qui accorde néanmoins que le recours au Bluetooth permet de limiter les dégâts : « L’atteinte au droit à la vie privée est évidente, mais nettement moins grave que si l’application avait reposé sur une géolocalisation par GPS qui, en plus, aurait permis de suivre les allées et venues des personnes. Néanmoins, l’atteinte existe. D’autres droits fondamentaux sont en cause, notamment le droit à la protection des données personnelles […] et le droit au secret des informations concernant les malades ».
Un risque d’atteinte confirmé par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qui a néanmoins émis, le 25 mai, un avis favorable au déploiement de StopCovid, arguant de sa mission d’intérêt public. En outre, elle estime que ses recommandations pour protéger les données des utilisateurs ont été suivies, que le respect de la vie privée est assuré et que le volontariat est garanti. De fait, les données personnelles seront pseudonymisées, aucune conséquence juridique n’est avancée en cas de non-utilisation du dispositif et d’importantes mesures de sécurité ont été adoptées. Ce que confirme Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique : « Le gouvernement a fixé dès l’origine un cadre très strict en matière de protection de la vie privée : l’application est anonyme, d’installation volontaire et son utilisation limitée à la crise du COVID-19. L’ensemble du système est par ailleurs transparent afin d’apporter aux Françaises et aux Français un maximum de garanties et de faciliter son adoption ».
Enfin, le caractère temporaire de l’outil est mis en exergue. Ainsi, l’historique de proximité d’individus testés positifs sera supprimé au bout de 15 jours. De plus, la durée de vie de StopCovid est elle aussi encadrée. L’application ne pourra être usitée que dans le contexte de la crise sanitaire liée au COVID-19, et le gouvernement entend y mettre un terme 6 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Passé ce délai, aucune donnée utilisateur ne sera conservée.
Malgré tout, Me Pierre Desmarais soulignait, le 16 avril dernier, l’importance de rester vigilant quant au fait que le lancement d’un tel procédé ouvre la porte au traçage numérique : « Accepter de mettre en place un dispositif de contact tracking pour lutter contre le COVID-19 constituerait un précédent sur lequel d’aucuns pourraient se fonder, à l’avenir, pour appliquer cette solution technologique à d’autres pathologies. À titre d’exemple, une proposition de loi a ainsi été déposée à l’Assemblée nationale pour permettre non pas de recourir au StopCovid dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, mais de l’autoriser pour toute « crise épidémique majeure », indépendamment de la déclaration d’état d’urgence. Déjà, on voit le champ d’application potentiel de StopCovid s’étendre et il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de revenir en arrière si l’on devait franchir le Rubicon ».
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