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Santé

#JourdApres, la tribune de Claude-Eugène Bouvier : sortir de la crise


Par Claude-Eugène Bouvier
Directeur délégué du CNETh
(Conseil national des établissements thermaux)


Ce lundi, le CNETh invitait tous ses adhérents à participer à une visioconférence animée par son bureau, composée de Thierry DUBOIS, président – Adeline GUERARD, vice-présidente, Bernard RIAC, vice-président, et Michel BAQUE, trésorier. Le délégué général, Claude-Eugène BOUVIER, revient sur quelques séquences de cet échange, et plus globalement sur la crise sanitaire et son impact sur la profession thermale.

Cette crise, pour dramatique qu’elle soit, est à la fois révélatrice et fondatrice. Les linguistes évoquent l’étymologie grecque « krisis » ou la racine indo-européenne « krei » qui renvoient au moment propice pour distinguer, passer au tamis et finalement séparer et couper. L’économiste Kondratiev, dans un style plus soviétique, désignait la « purge ». Dans un registre plus bucolique, les multiples « bourgeonnements » sont à l’échelle de l’individu, de son foyer, de l’entreprise, du secteur, de la nation et de la planète. Arrêtons-nous sur les transformations dans notre sphère professionnelle.

Ce qui me frappe en premier lieu, ce sont les chaînes de solidarité qui ont émergé en faveur des soignants, des « héros du quotidien » et de tous ceux dont la vulnérabilité a été accrue par les conséquences de l’épidémie. Plus que le PIB, ce degré de solidarité est un indicateur du niveau de développement civilisationnel. Dans notre secteur, cette solidarité s’est manifestée par la cohésion professionnelle qui permet à toutes les parties prenantes de travailler en concertation, d’intégrer les spécificités et les attentes de tous les acteurs (exploitants thermaux et leurs salariés, communes, médecins thermaux, socioprofessionnels…), d’articuler les niveaux national, régional et local, et de parvenir à des positions partagées. Le référentiel sanitaire du secteur est un bel exemple de travail collaboratif abouti. Jamais le thermalisme n’est aussi fort que lorsqu’il est menacé et, aujourd’hui, la menace étant cataclysmique, notre potentiel de résilience est élevé… à condition, selon le principe nietzschéen, que nous survivions à la crise.

Sauver les entreprises

C’est là ma deuxième réflexion et elle porte sur la gestion de la crise. Il est facile, mais assez vain, à ce stade en tout cas, d’inventorier les erreurs, les contradictions et les revirements de la puissance publique. Deux « coups de barre » me paraissent nécessaires pour aider les entreprises à s’extraire de ce marasme :

  • sortir de la confusion entre liquidités et solvabilité : les reports de charges sociales et fiscales, et l’accès facilité aux prêts, dont en particulier les PGE, sont une aide appréciable. Plus spécifiquement, les à-valoir que nous avons négociés avec la Cnam sont une avance de trésorerie salvatrice. Elle va permettre à certains établissements de bénéficier de fonds, au titre des mois de fermeture, soit d’avril à juillet (il s’agit là d’une hypothèse fixant un cadre qui ne doit pas être interprétée comme le pronostic d’une date de réouverture). Il faudra être vigilant sur les conditions d’amortissement de ces à-valoir si l’on veut éviter qu’ils se transforment en « avaloirs » qui nous engloutissent dans de vrais déficits. L’idéal sera que leur défalcation intervienne au moment où la trésorerie des établissements sera en voie de reconstitution, c’est-à-dire pas avant septembre 2021. Mais pour permettre à la filière de se sortir de ce sinistre, il faudra plus que des avances de trésorerie. Transferts, compensations et abandons de charges, indemnisations et subventions seront nécessaires. C’est pourquoi, le CNETh mène cinq actions essentielles depuis plusieurs semaines :
    • Le transfert de charges – l’activité partielle a été le dispositif clé du sauvetage des entreprises et, par son ampleur, il est à mettre au crédit de l’État français. Il est fondamental pour nos établissements thermaux, d’une part, qu’ils ne subissent pas la dégradation annoncée du taux de prise en charge par l’État et, d’autre part, que son maintien soit acquis après qu’ils seront autorisés à rouvrir. En effet, la montée en charge de la capacité d’accueil et de traitement ne sera que progressive et elle nécessitera des ajustements fins en termes de gestion des personnels. Nous avons multiplié les démarches auprès des parlementaires et des ministres et j’ai bon espoir que nous soyons entendus.
    • La compensation de charges – les surcoûts d’exploitation engendrés par la crise sanitaire, qu’ils soient de nature organisationnelle (formation des personnels, limitation de la FMI, mesures préventives, aménagement des soins…) ou impliquant des achats supplémentaires (EPI, SHA, produits virucides…) vont dégrader les marges d’exploitation des exploitants, déjà réduites par la régulation des tarifs et l’accroissement structurel des charges. Le temps viendra où le chiffrage de ces mesures devra être entrepris et leur compensation financière négociée (financement des EPI par les curistes ou l’Assurance maladie, intégration des surcoûts dans le calcul de la revalorisation tarifaire).
    • L’abandon de charges – l’inscription des entreprises thermales dans le dispositif annoncé au bénéfice de la filière tourisme n’allait pas de soi. Sans l’action efficace du président Thierry Dubois auprès des ministres B. Le Maire et G. Darmanin, et le soutien sans faille du Medef, nous aurions pu rater ce train de mesures. Nous restons vigilants pour qu’aucune de nos entreprises, quel que soit son code NAF, ne soit exclue de ce plan.
    • L’indemnisation – le CNETh, en rejoignant l’action menée par l’Umih, a été l’une des premières fédérations professionnelles à solliciter la reconnaissance de l’état de catastrophe sanitaire pour permettre la mobilisation de la garantie perte d’exploitation. Le débat national qui s’est ensuivi a contraint les assurances à davantage intervenir, notamment via l’abondement accru du fonds de solidarité. Il nous faudra poursuivre l’action pour qu’elle aboutisse, sans doute par la voie législative. 
    • La subvention – les curistes sont anxieux, et le seront durablement. Un virus en chasse un autre et il restera toujours une espèce de suspicion virale, même dans plusieurs mois. Le secteur va donc souffrir plusieurs années et tardera à retrouver le niveau de fréquentation de 2019. C’est pourquoi, il nous faut un plan pérenne de soutien à la filière thermale, et à tous les acteurs de son écosystème (établissements thermaux, communes thermales, logeurs et autres socioprofessionnels, médecins thermaux). C’est un autre temps de la négociation qui doit maintenant s’engager avec l’Europe (la France peut être leader sur ce dossier auprès de l’ESPA), l’État et les Régions.
  • sortir de la confusion entre surface et solidité financières. De la même façon que les navires mieux voilés ne résistent pas mieux à la tempête que les esquifs, les PME ne sont pas moins exposées au risque de défaillance que les TPE. Je suis frappé du mimétisme entre la protection sociale qui défend, à juste titre, les plus démunis et la protection économique qui vole prioritairement au secours des plus petites entreprises sur le fondement, dans les deux cas, d’une plus grande vulnérabilité. Mais le paquebot coule comme la chaloupe en rupture du principe d’Archimède, avec plus de victimes et plus de remous. Si l’on ne veut pas sacrifier les PME/ETI, comme on a affaibli les classes moyennes, si l’on veut éviter une bipartition entre micro-entreprises/TPE et grands groupes, alors il faut aider les entreprises à raison de leur situation et non de leurs attributs. Trop de PME ne sont pas éligibles à des dispositions prises ces dernières semaines du seul fait de leur effectif ou de leur chiffre d’affaires. C’est le cas de l’accès au fonds de solidarité, des à-valoir versés par la Cnam, ce pourrait l’être des mesures en faveur du secteur du tourisme, si elles étaient limitées aux entreprises de moins de 10 salariés.

La santé avant tout

Si l’on s’autorise à prendre un peu de hauteur par rapport à cette crise, alors deux constats me viennent à l’esprit. Le premier, au niveau de la profession, c’est la perspective d’une transformation possible par l’élargissement des champs de compétences. Il est clair que la médecine thermale doit prendre sa place dans la réhabilitation des séquelles physiques et psychologiques du COVID-19. Des programmes spécifiques avec une prise en charge assurantielle nouvelle sont à imaginer. Au-delà, la crise a révélé que certaines maladies chroniques sont des facteurs majorant la sévérité de l’atteinte par coronavirus. La prévention comme la bonne maîtrise de ces maladies chroniques constituent donc un enjeu réaffirmé de santé publique, et la médecine thermale est parfaitement légitime dans ce rôle. Enfin, au niveau de la nation, cette fois-ci, l’enseignement principal de cette crise me semble être l’émergence du primat de la santé sur l’économie. C’est sans doute la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’économie est sacrifiée sur l’autel sanitaire. On attribue à Malraux que le « XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas… ». Il pourrait être encore plus « médical » avec un changement de perspective majeur : la crise a révélé les déficiences de l’État dans son rôle d’assistance providentielle et remis le citoyen face à sa responsabilité individuelle dans la prise en charge de sa santé. C’est aussi le credo de la médecine thermale.

© Photo d’illustration – Inauguration Rencontres Nationales de Jonzac 2019

 

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