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Demain, le vert sera la couleur de l’économie


Et si la crise du coronavirus était une opportunité à saisir pour inscrire la France dans une nouvelle page de son histoire, une page verte capable de recevoir des mesures soucieuses de l’environnement et d’une plus grande justice sociale ? Une Grande question qui suscite de vives réactions et pousse de nombreuses voix à se faire entendre. 

Le Parlement a adopté, le 23 avril dernier, le deuxième budget rectificatif 2020. Ce texte amplifie et complète les mesures instaurées par la première loi de finances rectificative du 23 mars 2020, faisant étendre le plan d’urgence économique de 45 milliards d’euros à 110 milliards d’euros. Dans cette nouvelle enveloppe, 20 milliards sont dédiés à la recapitalisation des entreprises stratégiques en difficulté. Une occasion saisie par de nombreuses voix pour s’élever et appeler à ne pas reproduire la même erreur qu’en 2008, quand le plan de relance avait favorisé des activités polluantes.

La voix du Haut Conseil pour le climat

Organisme indépendant créé par Emmanuel Macron, le Haut Conseil pour le climat (HCC) milite pour des mesures donnant une place importante à l’environnement. Dans un rapport spécial sur la crise du COVID-19 et ses conséquences, intitulé CLIMAT, SANTÉ : MIEUX PRÉVENIR, MIEUX GUÉRIR – Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques, et publié le 22 avril, 18 recommandations sont émises en faveur de mesures « plus résilientes face à l’avenir ». Pour la présidente du HCC, Corinne Le Quéré, il s’agit de « guider les actions afin que les décisions prises permettent de nous reconstruire de manière plus résiliente [face] aux risques sanitaires et climatiques ». La crise du coronavirus « rappelle de façon brutale notre fragilité […], le peu d’attention que nous portons aux signaux d’alerte, les manques de préparation et de prévention », souligne la climatologue.

Parmi ces recommandations, les chercheurs et les économistes du HCC préconisent de placer au cœur du plan de relance la transition écologique et la réduction des gaz à effet de serre. « Les risques climatiques sont extrêmement importants », rappelle la climatologue franco-canadienne et « si on néglige encore les alertes comme on la fait pour les pandémies, on sera dans un monde [avec] des impacts effroyables », avertit la présidente. 

Les aides budgétaires et les incitations fiscales aux collectivités et aux entreprises doivent être « clairement subordonnées à ladoption explicite de plans dinvestissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas carbone », plaide le Haut Conseil. Le HCC prône également les transports « doux » (marche, vélo), le télétravail, des « infrastructures plus résilientes » et « la rénovation énergétique des bâtiments ».

En ce qui concerne les énergies renouvelables, Corinne Le Quéré rappelle que « la plupart des causes structurelles de la pandémie sont aussi à l’origine du changement climatique, en particulier la pression insoutenable que nous exerçons sur les milieux naturels ». Ainsi, les synergies entre climat, environnement et santé doivent être renforcées. Le HCC précise le cadre, à savoir la « lutte renforcée contre les pollutions, contre la déforestation importée, [l]amélioration nutritionnelle des régimes alimentaires, [l]évolution des modes de transport ».

Dans sa conclusion, le rapport exhorte à ne pas retomber dans la logique « les grandes entreprises d’abord, l’environnement ensuite », laquelle priverait de l’opportunité du changement.

La voix des grandes entreprises

Une logique que certaines grandes entreprises ne semblent pas vouloir suivre. Une cinquantaine d’entre elles ont fait savoir hier, mardi 5 mai, qu’elles rejoignaient l’alliance pour une relance verte portée par Pascal Canfin. Lancée le 14 avril, cette initiative poursuit l’objectif de « bâtir une réflexion partagée sur des plans d’investissement verts d’après-crise », selon leurodéputé. Les dirigeants du secteur financier et de l’assurance, tels que les français BNP Paribas Asset Management, Amundi et Axa, qui rejoignent Renault, Veolia ou la RATP, en signant ce pacte, se sont engagés à « concrétiser la mise en place de paquets d’investissement pour la relance verte et la biodiversité, qui serviront d’accélérateurs de la transition vers la neutralité climatique et des écosystèmes sains ». Ils soutiennent ainsi l’importance du Green Deal européen et s’engagent dans un travail collectif d’échanges d’expertises et de connaissances, ainsi que de création de « synergies pour mettre en place les décisions d’investissement dont nous avons besoin ».

Lire aussi :  Et si l’alimentation devenait un « bien commun » ?

Autre initiative, celle des 92 patrons qui ont signé ce week-end une tribune publiée par Le Monde et dans laquelle ils plaident pour « mettre lenvironnement au cœur de la relance économique ». Membres de lassociation Entreprises pour lenvironnement (EPE), ces grands patrons dindustries (Thales, Airbus, Renault, Michelin), de banques et dassurance (Axa, Société générale), des transports (SNCF, RATP), du luxe (Kering, Chanel), de lénergie (EDF), de lagroalimentaire (Danone), du patronat (Medef) estiment qu’« une large part des moyens financiers qui seront prochainement mobilisés pour la relance économique aurait tout intérêt à lêtre […] pour accompagner la transition écologique, avec un souci encore plus affirmé de justice sociale ».

La voix du gouvernement

Bruno Le Maire a fait paraître hier, mardi 5 mai, un livre publié dans la collection « Tracts de crise » chez Gallimard, dans lequel il se prononce en faveur d’« une relance verte ». Il estime que « les États européens ne doivent rien céder sur le Green Deal » et que la crise représente « une chance unique de redéfinir notre propre modèle économique, national et européen ». 

Le ministre de l’Économie met en garde contre la prise de mauvaises décisions qui consisteraient notamment en « labandon des politiques de lutte contre le réchauffement climatique » pour répondre à la chute des prix du pétrole. Il argue qu’il faut « faire exactement linverse » et qu’« il nous appartient daccélérer la transition écologique pour faire de notre économie la première économie décarbonée de la planète ». Pour lui, « la relance économique doit être une relance verte » et permettre la mise en place d’« une économie protégée », avec des « contrôles attentifs des investissements étrangers en France », ainsi qu’une « nouvelle politique industrielle européenne et [de] nouvelles règles de la concurrence », assortie d’une « accélération de la juste taxation des multinationales et des géants du numérique ». 

La voix du possible

Selon les estimations de l’Institute for Climate Economics (I4CE), organisme voué à la recherche sur l’économie du climat fondé en juillet 2015 par la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement, un plan de sortie de crise intégrant l’action climatique n’exigerait que 7 milliards d’euros par an d’investissements publics supplémentaires, jusqu’en 2023. 

Dans une étude parue le 1er avril, le think tank révèle que si le monde optait pour une relance verte, les objectifs de l’accord de Paris pourraient être atteints d’ici à 2030 et supposeraient une implication de l’ordre de 1 % du PIB. Concrètement, il table sur les cinq leviers de politiques publiques que sont les investissements publics, les cofinancements publics, sous forme de subventions, les obligations de travaux de rénovation énergétique, avec un objectif de résultats sur les consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, des prêts à taux faible ou nul et de longue durée, permettant aux projets de démarrer sans trésorerie de la part des porteurs de projets, et l’accompagnement technique, souvent intégré aux outils financiers. 

« Par exemple, pour la rénovation des logements du privé, il suffirait de 200 millions d’euros supplémentaires par an pour atteindre des niveaux d’investissement élevés, de l’ordre de 16 milliards d’euros par an. Pour cela, il faut séquencer les obligations de rénovation, notamment en ciblant les transactions immobilières », précise Hadrien Hainaut, l’un des auteurs. « De même, pour les véhicules bas carbone, il faut renforcer les infrastructures de maillage et les aides à l’acquisition, comme le bonus écologique ».

© Gustavo Quepón – Unsplash

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