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Société

#Coronavirus, le décryptage de Me Pierre Desmarais : l’utilisation des données personnelles

Par Me Pierre Desmarais
Avocat en droit du numérique et de la santé


Les données personnelles au cœur de la gestion de crise

Utiles aux épidémiologistes pour comprendre et modéliser la propagation du virus, intéressantes pour évaluer ou contraindre au respect des mesures de confinement, bloquantes pour permettre la distribution des masques, les données à caractère personnel sont au cœur de la gestion de crise.

Concrètement, se pose alors la question du cadre juridique applicable.

Le RGPD n’est pas un frein à la lutte contre l’épidémie.

Mieux, le RGPD intègre des dispositions spécifiques à son application pour « suivre des épidémies et leur propagation » (Considérant 46) ainsi que pour « la protection contre les menaces transfrontalières graves pesant sur la santé » (Art. 9§2, h). Vous en conviendrez certainement, le législateur européen avait de toute évidence à l’esprit le genre de situation que nous vivons actuellement, lorsqu’il a pris ces mesures.

Partant de là, aucune disposition du RGPD n’interdit aux organismes les détenant de communiquer les coordonnées des professionnels de santé pour permettre aux URPS de distribuer des masques et autres équipements de protection personnelle. Certes, il s’agit d’une réutilisation des données, mais celle-ci intervient dans une finalité compatible avec le motif initial de collecte. Si l’on tient des listes de professionnels de santé, c’est à l’évidence pour pouvoir les contacter. Quant à la « base juridique » autorisant cette réutilisation, le texte le permet expressément pour assurer « la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne physique ». Est-ce que la distribution de masques, en l’état actuel, ne contribue pas à sauvegarder les intérêts vitaux sinon du personnel soignant, à tout le moins de ses patients ?

Non, le RGPD n’est pas un frein dans la lutte contre l’épidémie, j’irais même jusqu’à dire que l’esprit du texte est d’enjoindre aux responsables de traitement de coopérer dans la lutte contre les épidémies et menaces sanitaires. A cet égard, notons également la coopération des autorités. La Commission nationale de l’informatique et des libertés – malgré les difficultés liées au confinement – a ainsi mis en place un circuit d’instruction rapide pour les recherches dans le domaine du Covid-19.

Les rédacteurs du RGPD ont fait confiance aux responsables de traitement, en les invitant à une utilisation raisonnable des données. Et c’est dans ce cadre que la réutilisation des données des opérateurs de télécommunication peut être questionnée. Oui, c’est juridiquement possible, mais sous réserve notamment de définir un objectif précis et respectueux des droits fondamentaux de chaque détenteur d’un téléphone mobile. Une réutilisation des données de bornage, pseudonymisées, à des fins de recherche dans le domaine de la santé est ainsi tout à fait envisageable. Pourquoi pas pour mesurer les besoins alimentaires ou sanitaires de la population sur des zones d’exode ? Une analyse de ces informations pour évaluer le confinement est plus discutable. S’il s’agit d’apporter des éléments aux décideurs concernant l’intérêt d’un confinement strict ou relatif dans la gestion de la pandémie, la mesure semble parfaitement admissible. S’il s’agit en revanche d’étudier le respect de l’obligation de confinement – pénalement sanctionné – on peut s’interroger quant à la proportionnalité par rapport aux droits fondamentaux de la population. Dès lors que tout résident a le droit de sortir 1h par jour ou d’aller faire ses courses, qu’est-ce qui justifierait que l’on connaisse son parcours ou les boutiques dans lesquelles il se rend ? Le droit fondamental à la protection des données personnelles ne saurait légitimement être écarté ou diminué au prétexte d’une guerre sanitaire. Et ce, a fortiori lorsque le RGPD a de lui-même prévu un cadre d’utilisation des données pour la protection contre les menaces transfrontalières graves pesant sur la santé.

La guerre – sanitaire ou non – connaît le droit. Lorsqu’elle n’est pas sanitaire, les manquements sont malheureusement réprimés a posteriori. Le Covid-19 ne pourra pas être jugé. Alors dans la lutte actuelle, veillons à ne pas devenir nos propres ennemis de demain.

© Aquae Panorama / Faust Favart

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